Le mot qui tue

Le mot qui tue

Te voici donc enfin, dernier jour de novembre
Avant la première aube du mois de décembre.
J’eusses aimé emprunter les mots chers à Rimbaud
Mais le maître aurait-il pu tenir le flambeau ?

J’ai donc cherché ailleurs le vrai mot qui achève,
Le dernier mot marquant, celui qui parachève.
Dans « Les Voix intérieures », j’ai relu tout de go
Ce poème si cher à toi, Victor Hugo !


« Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ;
TOUT, la haine et le deuil ! Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.

Écoutez bien ceci : tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille du plus mystérieux
De vos amis de cœur ou si vous aimez mieux,

Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce MOT — que vous croyez qu’on n’a pas entendu,

Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre —
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,

De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera

Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,

Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive et railleur, regardant l’homme en face
Dit : « Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. »
Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel. »

Texte de Victor Hugo.

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