Petite comédie en trois actes absurdes

I. Hauteurs et vanités
Madame trône, tout alanguie sur son balcon privé céleste ;
Nue comme une drôle d’évidence, dorée d’un parfum d’insouciance.
La tasse, qu’elle tient tel un sceptre d’arrogance hautaine et modeste,
Fume d’un petit café mondain d’arôme perlé de suffisance.
Là-haut, bien sûr, l’air est plus pur, l’argent sera mieux ventilé ;
L’ombre des gueux n’arrive pas au niveau de son carrelage.
On plane, on rêve sur les toits, loin des pas des chats affamés,
Loin du bruit et des vapeurs lourdes de commérages et badinages.
II. Bas-fonds et rêveries
Lui, un pauvre hère désabusé, dresse son buffet dérisoire ;
Vieille théière cabossée, antique chandelle sans flamme.
D’un geste pourtant inspiré, il lève au ciel de grands yeux noirs,
Fasciné par l’ange au café, méditant quelque mélodrame.
Là-bas, tout semble simple et plat, un pauvre royaume flottant
Avec une vie qui s’effeuille sur des volutes aigres-douces.
Pourquoi cultiver sa misère et s’attarder en sifflotant
Quand là-haut, un bonheur surfait repose sans doute à sa mousse ?
III. L’accident cosmique
Mais brusquement, Ô tragédie, Madame s’esclaffe et ricane,
D’un faux mouvement, elle dérape et le drame attendu éclate !
La tasse soumise à gravité s’échappe dans une chute diaphane,
Telle une comète perdue, hasard au destin écarlate.
Le pauvre alors lève la main et c’est le miracle céleste ;
Un Dieu cafetier lui fait don du résidu de ce foutoir.
Un nectar noir arabica ruisselle en cascade funeste
Et Sa Divine Nudité en haut s’écrase sur le trottoir.
Moralité
Que les riches enfin se méfient ; les hauteurs sont parfois traîtresses
Et quiconque alors s’imagine hors d’atteinte tente sa détresse !
Un jour ou l’autre, il suffira d’un grain de café maculé
Qui tombera dans l’engrenage et verra son trône basculer.
Tableau de Vladimir Golub.













