CONTE DU NOUVEL AN

Ce fut un silence d’or et d’aube demeurant jusqu’au crépuscule.
Tous les quatre restaient immobiles, comme au-devant d’un grand mystère.
Ils savaient que des changements allait changer le monde entier,
Mais c’est sans peur, sans regret qu’ils vécurent ce nouvel an.

Dans un futur plus ou moins proche, l’histoire recommencera.
On partira, on se battra, on vaincra et on règnera.
À chacun de se reconnaître dans ce récit initiatique
Et rassembler ses dimensions qui lui ouvrira l’Univers.

Le voyageur

Le voyageur et le conquérant observaient la vue sur le port assis sur la terrasse. Le café chaud leur brûlait les lèvres mais leur procurait un instant magique. Ils s’observaient de temps à autre avec un air de complicité. Le matin s’était levé depuis longtemps et, bizarrement, la température semblait être le résultat d’une lutte entre le froid de la nuit et la chaleur incandescente de l’astre du jour qui semblait prendre le dessus. Dès les premières lueurs de l’aube, ils s’étaient levés simultanément sans s’être consultés et avaient longtemps marché dans le jardin qui donnait sur la mer tout en guettant le moment où un rayon d’or ardent allait jaillir des montagnes qui cernaient le port. Depuis, le soleil avait commencé à réchauffer les pierres lorsque les enfants les rejoignirent sur la terrasse. Ils restèrent silencieux plusieurs minutes tandis qu’ils observaient les deux hommes. Ils étaient frappés de leur étrange ressemblance et beaucoup de questions leur brûlaient les lèvres ; toutefois, ils attendaient et continuaient à étudier les deux hommes. Finalement, ce fut le garçon blond qui rompit le silence et demanda : « Comment vous connaissez-vous tous les deux ? Quels sont les liens qui vous unissent ? »

Le voyageur et le conquérant sourirent et répondirent. « Nous sommes frères et bien qu’étant des personnes fort différentes, nous nous complétons. Tandis que l’un voyage et découvre le monde, l’autre assimile et dépose sa marque sur le terrain parcouru ; il le conquiert. La conquête ne s’effectue pas forcément en combattant et pas toujours par la force. La plupart du temps, il est nécessaire de pratiquer un combat contre soi-même pour assimiler ce qui doit être découvert. Le voyageur extériorise tandis que le conquérant intériorise. Le voyageur découvre tout ce qui est étranger à lui-même tandis que le conquérant doit faire en sorte que ce qu’il a parcouru soit intégré dans son cœur. Nous vivons en symbiose. Il ne nous est pas nécessaire de communiquer entre nous pour que chaque étape découverte par le voyageur soit aussitôt assimilée par le conquérant. »

« Et ensuite, que se passe-t-il ? » Demandèrent les enfants.

« Ensuite, c’est une autre histoire qui se poursuit. » Répondit le voyageur. « Une évolution qui se transmet à d’autres personnes. Une expérience partagée. Une fois le monde découvert et assimilé, vient alors le temps du partage et de l’emprise du monde. Lorsque tout ceci est accompli, l’homme acquiert la sagesse. Et la sagesse acquise lui permettra d’aller à la rencontre de nouveaux mondes qu’il lui faudra conquérir puis, maîtriser pour réaliser un nouveau cycle de sagesse. À chaque cycle, il y a une histoire différente. Celle que nous vivons, aujourd’hui, représente notre cycle actuel. »

« Dans circonstances es-tu venu nous chercher ? Comment cela s’est-il passé ? » Répliquèrent-ils.

« J’ai participé au développement du monde dans lequel vous êtes nés. » Expliqua le conquérant. Cependant, bien que j’eusse à ma disposition les moyens d’y retourner, je ne pouvais pas le faire car le désir de quitter ce monde clos devait venir de vous-mêmes. C’était à vous de vous en détacher. Comprenez bien, que le monde dans lequel vous êtes nés est un terrain d’apprentissage et de développement personnel. Votre mère et moi y avons apporté des règles strictes. Si nous étions venus directement vous chercher, cela aurait été incompatible avec le souhait que nous avions formulé pour votre épanouissement. Si Dieu a créé l’homme, c’est pour qu’il s’élève de lui-même. Et l’élévation n’est pas une obligation mais un choix. Dieu propose mais c’est l’homme qui choisit ; sinon, il n’a pas le libre arbitre, il n’est pas libre, il n’est pas homme. Tous les habitants de l’île et, encore plus, ceux qui y sont nés, possèdent ce libre arbitre et doivent choisir par eux-mêmes leur chemin. J’étais très désireux de vous avoir près de moi mais je devais attendre que cette volonté vienne de vous. Face à ce dilemme, j’ai donc envoyé mon frère afin de vous rencontrer et vous offrir la possibilité de grandir et de catalyser vos résolutions. »

« Et ce fut un véritable exploit ! » S’exclama le voyageur. « Parce que je n’ai eu droit à aucune indication, sans plan et sans la moindre piste. »

« Peut-être, mais c’est toi qui n’a pas voulu accepter le moindre indice. Rien ne devait t’influencer, tu devais trouver toi-même le chemin. » Rétorqua le conquérant au voyageur.

« C’est vrai ! Mais y avait-il moyen de faire autrement ? Pour interférer le moins possible dans cet équilibre, pour aller en observateur sans apporter le moindre artéfact, il fallait que je sois le plus neutre possible. Et cela n’a été réalisable qu’en étant complètement étranger à l’histoire de l’île. Et comme pour aller face à son destin, toutes les directions sont bonnes, mon premier pas volontaire, et le seul, a été de descendre un matin vers le port et attendre. Attendre la coïncidence subtile qui allait m’ouvrir la voie. Ça n’a pas tardé et je me suis retrouvé, immédiatement, embarqué sur ce navire dans une aventure assez exotique. Je me suis laissé guider par les évènements. Ensuite, après avoir passé la porte, j’ai débarqué dans l’île et j’ai observé. J’ai compris que c’était vous au premier instant où nous nous sommes rencontrés. »

« Je me souviens de la première fois. » Dit la fille. « Tu ne semblais ni troublé par ton arrivée ni résigné à demeurer sur cette île à jamais. Tu savais que tu étais de passage. Il y avait en toi une impulsion fraîche et toujours renouvelée qui m’a séduite. »

« Moi, également. » Renchérit le garçon. « Pour une fois, nous voyions quelqu’un qui était maître de lui-même, qui ne cédait pas à ses peurs et qui allait toujours de l’avant sans jamais se décourager malgré les échecs que nous avons essuyés. Tu marchais toujours de découverte en découverte. Tu acceptais à chaque pas l’adversité et, sans succomber au découragement, tu trouvais à chaque fois une nouvelle solution. » Le conquérant et le voyageur échangèrent un regard complice pendant cette observation.

« Et c’est ainsi que vous êtres devenus adultes et que vous avez pris votre propre décision. Vous êtes partis avec lui parce que vous avez librement choisi de suivre votre intuition. Vous êtes alors devenus ceux qui montrent la voie. » Acheva le conquérant.

« Et maintenant, qu’y a-t-il de prévu ? » Demandèrent les enfants.

« Rien n’est jamais prévu à l’avance ! Toutefois, nous partons demain. Il est temps pour vous d’apprendre et de découvrir vos racines. » Rompit leur mère.

Le lendemain, un visiteur se présenta à leur demeure. Le voyageur et les enfants reconnurent leur ami, le capitaine du navire. Celui-ci était en grande joie. Apparemment, ses affaires avaient très bien prospéré. « Savez-vous que j’ai pu décupler le prix de notre cargaison ? » Dit-il joyeusement. « Et comme pour tous ceux qui ont participé à l’expédition ont contribué à notre retour, je vous apporte votre part à tous les trois. Toi, voyageur, car tu as su nous galvaniser et nous faire croire à notre retour et c’est ce qui est finalement arrivé. Vous, les enfants, parce que vous nous avez beaucoup aidés grâce à vos connaissances et votre collaboration est, aujourd’hui, récompensée. »

« Que vas-tu faire maintenant capitaine ? » Lui demanda le voyageur.

« Je vais pouvoir investir dans d’autres bateaux et former une flotte plus importante pour augmenter mon négoce. Et vous, qu’allez-vous faire ? Continuer à voyager ? » Rétorqua le capitaine.

« Les voyages ne s’arrêtent jamais. » Répondit le voyageur. « Il y a des transits plus ou moins difficiles entre deux étapes, mais chaque étape n’est qu’un arrêt provisoire avant le prochain voyage. Tout dépend si tu fixes ton esprit dans les transits ou dans les étapes. Tu peux voir ta vie comme un gigantesque voyage parsemé d’étapes ou alors comme un ensemble d’étapes fixes reliées par des changements de situations. Tout dépend où tu te places. »

Ils passèrent le restant de la journée à évoquer les détails de leur voyage tout en y indiquant, chacun, sa propre impression. Le temps avait semblé s’éterniser et représenter toute leur existence lorsqu’ils étaient dans l’île. Il leur avait semblé que le reste du monde avait disparu. À présent qu’ils étaient de retour, tout leur semblait maintenant si lointain qu’ils avaient l’impression que tout n’avait été qu’un rêve. Un paradoxe existentiel en quelque sorte. La nuit s’acheva dans les souvenirs jusqu’à ce qu’épuisés, ils regagnèrent tous leur chambre engourdis de sommeil. L’année s’était déroulée riche d’expériences et d’émotions et se terminait avec une lueur dans les cœurs qui ne s’éteindrait jamais.

Ce matin du nouvel an, ils s’étaient tous réveillés plein d’énergie et d’enthousiasme pour tout recommencer. Ils avaient décidés de partir ce matin. Les valises furent bouclées très rapidement car ils ne prenaient que le strict nécessaire. Ils étaient tous attendus. Ils prirent place dans le grand véhicule du conquérant. Le soleil était encore bas dans le ciel et dardait ses rayons vers eux comme pour les embrasser et leur montrer la route.

Le voyage dura la journée entière. Ils suivirent le soleil vers l’ouest et, finalement à la fin du jour, atteignirent les montagnes. Tout en haut du plus haut des monts environnants, perchée sur son nid d’aigle, une vaste demeure impressionnante ouvrait grand son porche comme pour les accueillir. Ils descendirent dans la grande allée encadrée d’arbres majestueux et montèrent les marches du perron. En haut, sur la terrasse devant le portail d’entrée, un groupe de personnes les attendaient. Douze personnages, six hommes et six femmes, superbement vêtus et physiquement magnifiques. Leur âge étaient difficile à estimer tant ils paraissaient jeunes de corps. Cependant, leurs yeux affichaient un regard qui paraissait aussi vieux que l’histoire de l’humanité.

« Bienvenue à mes fils et aux fils de mes fils ! » Déclara d’une grande voix avenante et courtoise celui qui semblait le plus puissant de tous.

« Les fils de mes fils ? » S’interrogèrent les enfants. « Vous faites partie de notre famille ? »

« Et ta famille est encore plus vaste que tu ne peux l’imaginer ! » Lui répondit le maître des lieux. Entrons chez nous maintenant ! Vous devez avoir faim, le repas est prêt ! »

D’un geste, il invita les voyageurs à entrer. Le vestibule était immense. Le grand escalier qui y débouchait ne l’était pas moins. Les portes latérales donnaient accès à la salle à manger. Une salle dans laquelle on aurait pu grouper un millier d’hommes. En son centre, trônait une table impressionnante. Le couvert était mis et offraient aux yeux des invités un émerveillement. Les verres de cristal et les couverts d’argents lançaient des éclats et des scintillements irisés. Les effluves chatoyants apportaient une autre dimension au banquet. La présentation des mets parachevait le tout. Ils s’installèrent dans leurs sièges. Les enfants jetaient des regards tantôt à la table du festin et tantôt vers leurs douze hôtes. Ils étaient très différents de physionomie. Les deux adolescents ne pouvaient savoir qu’ils étaient les représentants de plusieurs nations de la terre.

« Laissez-moi vous faire les présentations ! » Clama le maître. « Ma compagne, l’astronome ainsi que moi-même sommes les parents de votre père ; nous sommes donc vos grands-parents. Cela ne s’arrête pas là car nous sommes tous les douze unis car nous ne formons qu’un. Nous sommes la réincarnation de notre père à tous qui est mort en découvrant le secret du passage et est revenu sur terre pour nous le révéler. Parce que c’était impossible pour un seul être humain, il a choisi de prendre l’apparence de douze hommes et femmes. Dès notre naissance nous avons, immédiatement, su qui nous étions et avons passé la première partie de notre vie à nous chercher, nous retrouver et nous rassembler. Durant la deuxième partie de notre vie, nous avons unis nos efforts afin de perpétuer celui qui nous avait légué sa vie. En acceptant cet héritage, nous avons activé notre mémoire antérieure. Cependant, pour être parfaitement unifiés, nous devions entrer en possession de témoins qui avaient été dispersés. Douze pierres qui symbolisaient les clés qui nous ouvraient le passage. Nous les avons cherchées durant toute notre vie mais en vain. Pendant nos recherches, nous fûmes mis en contact avec l’existence d’une stèle et d’une table d’émeraude qui étaient, à l’instar de nos pierres, des témoins entre toutes les civilisations de la terre passées et présentes. Un jour, alors que nous nous étions en réunion à ce sujet, nous fûmes contactés par des êtres fantastiques qui étaient les gardiens de la terre. Ceux-ci nous remirent à chacun les pierres que nous avions recherchées. Dès lors, notre vie a basculé, nos corps ont physiquement changé et nous eûmes accès à une science inconnue qu’on nous a appris à partager. C’est à la suite de cette rencontre et de cette transformation que nous en sommes arrivés à créer cette bulle univers, cette île, afin de pouvoir y pratiquer nos expériences. Mais avant de l’utiliser, il fallait s’y accoutumer. C’est pourquoi, nous avons envoyé notre fils, le conquérant, sans le lui expliquer directement, pour organiser ce monde. Il devait également trouver un moyen de s’y déplacer car il y avait un obstacle sérieux. Il a, non seulement, parfaitement réussi sa mission, mais il a réitéré notre action. Il a laissé ses propres enfants dans ce monde afin qu’ils y grandissent et l’éprouvent de l’intérieur. Enfin, nous avons envoyé notre deuxième fils afin qu’il renoue les liens et que puisse s’accomplir la boucle finale c’est-à-dire que les enfants de nos enfants reviennent vers nous. C’est aujourd’hui chose faite. Nous avons, tous ensemble, permis l’existence de l’île. Désormais, nous allons commencer dès aujourd’hui notre travail. Je déclare aujourd’hui, jour de notre première année, le jour où l’humanité entre dans une nouvelle phase de transformation. »

« Et par quoi commençons-nous ? » Demandèrent les enfants.

« À table et bon appétit ! » Termina le maître en désignant la table des agapes. Tous s’assirent et commencèrent à savourer le banquet du soir. Le voyage avait été long et les invités avaient grand besoin de se restaurer. Pendant qu’ils mangeaient, le maître repris la parole et se présenta ainsi que ses compagnons. Il raconta à ses invités comment ils s’étaient rencontrés en s’arrêtant par moment sur des détails révélateurs jusqu’au moment où ils avaient créé la bulle univers. Le conquérant prit le relais et relata par quelles méthodes ils avaient, avec l’aide considérable de son épouse et de ses trois collaborateurs, organisé la vie sociale et comment ils avaient amélioré les transferts inter mondes. Ensuite le voyageur continua le récit, secondé par les deux adolescents qui terminèrent l’histoire par leurs souvenirs d’enfance. À la fin du repas, épuisés par leur journée de voyage, ils se rendirent dans leurs chambres et s’endormirent profondément.

Le deuxième matin du nouvel an s’ouvrait sur une journée magnifique. Le ciel était complètement dégagé sans nuage. Le soleil aurifiait les contours des montagnes et embrasait de sa chaleur tout ce que ses rayons touchaient. Le maître proposa à tous de visiter les jardins et les emmena dans les allées. Le parc était splendide. Les jeux de rayons qui passaient à travers les arbres créaient une lutte entre l’ombre et la lumière qui en rehaussait la vision enchanteresse. À tour de rôle, chacun des douze compagnons nommaient tel ou tel arbre, telle ou telle fleur, tel ou tel minéral. Au grand étonnement des enfants. Leur culture était très bien distribuée.

« Et il en sera ainsi pour la suite de votre éducation. » Leur annonça le maître. « Voyons ! Quelle branche aspirez-vous à suivre ? La médecine, le droit, la physique, l’astronomie ? Quelles activités souhaiteriez-vous développer ? Les arts martiaux, l’escrime, le tir ? Et qu’en est-il de vos passe-temps favoris ? Nous pouvons vous apporter tout cela et, surtout, sans changer ni contrarier l’apprentissage que vous avez déjà commencé. »

Les deux adolescents passèrent en revue les douze compagnons. Très impressionnés par leurs personnes, ils acceptèrent avec joie leur proposition. Ce début d’année apportait une révolution dans leurs vies. Ils savaient qu’ils avaient délibérément choisi leur nouvelle vie mais cela s’était passé si vite qu’ils avaient du mal à se rendre compte qu’ils étaient pleinement responsables de leurs choix.

« Rentrons maintenant ! » Proposa le maître. « Nous avons encore des dispositions à prendre tous ensemble. »

Pendant le chemin du retour, le conquérant raconta comment, avec l’aide de son épouse, ils avaient procédé pour organiser la vie et l’éducation des enfants sur l’île.

Le conquérant

Le conquérant et la princesse déjeunaient sur leur terrasse. La musique qui venait de la plage leur allouait une ambiance sereine. Les deux nouveau-nés avaient déjà pris leur repas et se reposaient pour l’instant, laissant un moment de quiétude à leurs parents.

« Comment comptes-tu t’y prendre ? » Demanda le conquérant à son épouse.

« Ce que je désire pour nos enfants, comme pour tous ceux qui vont naître et grandir par la suite, c’est qu’ils apprennent et dirigent leurs vies par leurs propres décisions. Leur éducation ne doit pas correspondre à ce que nous attendons d’eux mais au germe qui existe au plus profond de leur cœur. Ils doivent découvrir leurs capacités par eux-mêmes. Nous leur offrirons seulement les outils dont ils auront besoin au fur et à mesure de leur apprentissage. À eux d’apprendre à s’en servir et à bien les utiliser pour évoluer. Notre science s’enseigne directement à partir du cœur. C’est leur cœur qui doit croître et les guider de l’intérieur. Leur meilleur professeur, ils le possèdent en eux-mêmes. » Expliqua la princesse.

« Allons consulter nos amis ! Leur concours nous sera nécessaire ! » Proposa le conquérant.

Ils se levèrent et allèrent au village. L’air était très doux. La brise légère faisait onduler doucement les arbres qui longeaient le rivage. Plusieurs couples s’étaient déjà constitués sur la plage. C’était une journée de repos car une grande fête avait été décidée pour le soir en l’honneur de la première naissance sur l’île. C’était un symbole de prospérité. Le scientifique, l’écologiste et le commandant devisaient ensemble lorsqu’ils aperçurent le conquérant et la princesse. Ils se saluèrent et se congratulèrent.

« Savez-vous, » dit le commandant, « que plusieurs couples se sont formés et que, bientôt et très certainement, nous allons avoir à assumer de nouvelles générations ? »

« C’est très précisément ce dont je veux discuter avec vous. » Dit la princesse.

Ils s’assirent tous autour d’elle. Ils observaient la princesse. Depuis le début, elle s’était effacée afin de leur laisser pleinement le libre arbitre. À présent qu’ils avaient construit leurs réalisations sans qu’elle intervienne, elle se montrait plus présente et révélait son véritable rôle parmi eux.

« Au commencement de l’enfance, il y a l’apprentissage. L’apprentissage de l’être neuf. Cet être neuf, qui revient après chaque vie, toujours accompagné d’une nouvelle couche existentielle, possède déjà tout son acquit. Il doit, de lui-même, non seulement se reconstruire, mais assimiler tout cet acquit inconscient et l’accepter. Mais il doit aussi faire grandir cette nouvelle étincelle qui représente le nouveau bourgeon qui, lui seul, s’exprimera dans sa nouvelle vie présente. »

La princesse observait chacun de ses compagnons à chaque mot qu’elle prononçait. Elle avait besoin d’une écoute attentive car il lui était important qu’elle soit parfaitement comprise.

« Si dans cet être nouveau qui détient tout ce potentiel, nous tentons de lui inculquer notre propre philosophie, c’est comme si nous lui coupons tous les bourgeons qui sont prêts à s’éclore pour y greffer nos propres fruits. Voici maintenant le nouvel enseignement que je veux mettre en place ici. Laissons les enfants évoluer et grandir en toute autonomie ; ils portent en eux tous les germes qui doivent s’épanouir. Bien entendu, nous les assisterons. Bien entendu, nous leur apprendront les données fondamentales : le langage, les bases de calculs ainsi que toutes les instructions essentielles c’est-à-dire, encore une fois, les outils dont ils ont besoin. Des outils seulement, pas des expériences toutes faites dont ils n’ont aucune nécessité. Mais pour le reste, pour l’épanouissement de notre nouvelle civilisation, ils doivent suivre leurs propres intuitions et même les provoquer si possible. Cela signifie, également, que la cellule parentale va être complètement remaniée. Cela va être très difficile pour chacun de nous mais nos enfants ne nous appartiennent pas, ils sont nos successeurs. Les parents sont leurs tuteurs. Ils accompagnent l’enfant durant ses premières années de nourrice. Mais après cela, ils doivent s’effacer. Vous m’entendez bien : s’effacer. Dieu nous a créé à son image et nous a donné le libre arbitre, nous devons agir de même avec nos enfants. »

« Mais comment allez-vous faire matériellement ? Faut-il les isoler complètement ? » Interrogea le scientifique.

« Nous allons leur construire une grande maison spécialement adaptée. Une maison dans laquelle nous pourrons intervenir en cas de nécessité mais une habitation à l’intérieur de laquelle nous allons tout mettre en œuvre pour qu’ils soient protégés et en sécurité. À partir de ce moment-là, nous laisseront croître en eux tout le potentiel dont ils sont capables et surtout, nous les laisserons aller dans les directions qu’ils auront, eux-mêmes, choisies. Sans contrainte et sans influence. »

« Pensez-vous y arriver ? » Intervint l’écologiste.

« Oui ! » Intervint le conquérant. « Car ce sont nos propres enfants qui participeront à cette entreprise. Ce sont les acteurs à qui nous avons donné vie. Ce sont eux qui nous montreront la voie. Tout l’amour que nous avons pour eux doit être canalisé dans cette entreprise. »

Ainsi qu’ils en avaient décidé, ils bâtirent une grande maison sur la mer. Ils cherchèrent le meilleur endroit et convinrent de la construire dans la baie qui jouxtait le village. Ainsi elle serait à la fois à proximité et éloignée du centre du village. Il leur fallait, pour cela, trouver des pierres robustes pour dresser les premières fondations. Ils explorèrent les environs afin de trouver les meilleurs matériaux. Curieusement, ils décelèrent un très gros amas de rochers propices à leurs desseins. C’étaient d’excellentes roches granitiques. Ils entreprirent de les transporter par bateau car elles n’étaient pas loin du rivage. Au fur et à mesure que la construction s’érigeait, on déblaya la carrière. Bientôt, les pierres se firent rares mais la maison étant presque terminée, personne ne s’en inquiéta. Il n’était pas besoin de creuser davantage car tous les matériaux nécessaires avaient été transportés. Cependant, lorsque les derniers rochers furent emmenés pour parachever l’édifice, on remarqua une roche singulière. Elle était grande, noire, plate et gravée d’inscriptions. Elle n’était pas enfouie sous les rochers mais à l’écart sur un terrain qui surplombait la mer. Personne n’avait prêté attention au site car il était entièrement masqué par l’amas de rochers. Comme une barrière protectrice. C’était une grande dalle noire de toute évidence sculptée et taillée de la main de l’homme. Hormis les décorations sur les côtés et au revers, la seule partie intelligible était gravée sur la face supérieure ornée, également, d’ornements.

Le conquérant consulta ses compagnons. Le scientifique, l’écologiste et le commandant. Comment un message pouvait-il avoir été dissimulé sur cette pierre et, surtout, pourquoi ? Ce monde clos leur avait été confié afin qu’ils améliorent les transferts allers et retours. Mais, apparemment, il y avait autre chose qu’ils ignoraient. Tout d’abord, la raison essentielle du site leur avait échappé. Ils n’en étaient point contrariés mais ils désiraient en savoir plus. La princesse n’avait pas de réponse. « Ce site nous a été légué afin d’y pratiquer des expériences et des évolutions. » Dit-elle. « Nous ignorons, tout comme vous, le dessein qu’y ont alloué leurs créateurs. Mais, bien que nous manquions d’informations, nous devons continuer le travail commencé. »

Le conquérant décida d’un commun accord avec ses compagnons de faire comme la princesse le recommandait. Bien qu’étant avides de connaissances, ils acceptèrent l’héritage. La stèle révélait un message antérieur et inconnu, ils en tinrent compte et convinrent d’aménager le terrain sur lequel ils l’avaient découverte. Comme elle était gravée sur ses deux faces mais qu’elle ne pouvait être érigée verticalement, ils arrangèrent la grotte naturelle que formait le site en bâtissant un plafond ouvert dans lequel ils sertirent la stèle.

« Il y a très, très longtemps, » expliqua la princesse, « un homme et sa femme sont venus dans l’île. Nous ne savons pas comment ils y sont parvenus ni comment ils en sont partis. Mais nous savions qu’ils avaient laissé un message. L’homme et la femme n’ont pas expliqué la raison ni la consistance de ce message. En revanche, ils ont révélé que ce message serait toujours accessible et que chaque partie du message cachait un autre message qui en cachait un autre. Le but n’étant pas de dissimuler les informations mais de les révéler. Ils ont également dévoilé que d’autres, bien avant eux, avaient déjà gravé leurs propres témoignages. Et encore d’autres bien avant eux. Tous ces messages représenteraient le témoin et l’union des civilisations passées, récentes et futures. »

« Ce qui signifie que cette île possède, déjà toute une histoire ! » Intervint le scientifique. « Elle n’est pas seulement close dans le temps et dans l’espace mais elle est accessible à tous. Aussi bien dans le passé que dans le futur. Cela voudrait-il dire que nous sommes, en réalité, dans un carrefour formidable du temps ? Vous rendez-vous compte ? L’éternité tout entière est autour de nous. Nous pourrions communiquer, si nous en avions la possibilité, avec toutes les races humaines de tous les temps ! »

« Bien entendu ! Tout cela est vrai ! » Répliqua la princesse. « C’est pour cette raison que nos enfants doivent retrouver en eux-mêmes les liens sacrés sans que nous leur coupions les ailes ou les moulions dans des modèles stéréotypés et restrictifs. Nous devons croire en eux et leur laisser la liberté de retrouver les connaissances sacrées. Et tous ceux qui les aideront seront leurs anges. »

« Leurs anges ? » Demanda le conquérant.

« Leurs anges, exactement ! » Rétorqua la princesse. « Il existe des guides que ne perçoivent que les enfants. Et plus ils seront en relation avec les adultes et leurs limites qu’ils s’imposent et plus ces perceptions diminueront. En revanche, s’ils grandissent avec leurs anges, leur apprentissage sera extrêmement fort. C’est plus qu’une question de foi, c’est une question de perception. C’est la raison pour laquelle, dans cette île, les enfants doivent grandir indépendamment de leurs parents. Et c’est la raison pour laquelle, nous allons laisser se développer en eux ces perceptions qu’eux seuls reçoivent et peuvent suivre. Nous retrouverons nos enfants une fois qu’ils seront adultes mais sans limitation. »

« Que représente ton père et quelle est l’origine de ton peuple ? » Interrogea le conquérant.

« Je te l’ai déjà dit. » Répondit-elle. « Nous sommes les descendants de la civilisation précédente. La plupart des hommes et des femmes de notre culture sont passés dans un état supérieur. Afin de perpétuer notre science, nous sommes restés un petit groupe sur terre afin d’établir et prolonger un lien. Ce lien, c’est avec toi et tes compagnons que nous l’avons réalisé. Au-delà de nous, comme un prolongement, nos enfants concrétisent l’incarnation de ce lien. Bien avant nous, il y a eu d’autres civilisations qui, elles aussi, ont laissé des témoins en arrière qui nous ont rencontrés il y a très longtemps. Aussi loin que nous reculons dans notre passé, des témoignages se sont transmis entre les peuples. Mais pour éviter les pillages et la dilapidation, pour se garantir que des barbares n’effacent les traces de ces témoignages, il a été nécessaire de cacher toutes ces traces et de ne les dévoiler que parcimonieusement. C’est notre rôle envers vous. Ce sera également votre rôle envers ceux qui viendront après vous. Mon père, que vous appelez le chef, était le responsable de notre groupe et c’est lui qui m’a donné ses pleins pouvoirs afin de te rencontrer. »

« Quant à la stèle que vous avez découverte, elle est de la même origine que la table d’émeraude. L’une et l’autre sont des instruments de communication. La table d’émeraude permet d’accomplir des transferts entre les mondes ; la stèle raconte l’histoire des peuples qui ont effectués ces transferts. Nous en sommes les détenteurs actuels. C’est, entre autres, deux bornes maîtresses qu’il vaut mieux conserver à l’abri. Mais ne t’impatiente pas. Comme nous auparavant, tu as été choisi pour ce que tu es et tu connaîtras, petit à petit, la réponse à toutes tes questions. Toutes tes questions seront résolues jour après jour. »

Le temps passa à terminer tous les ouvrages commencés. La maison dédiée aux enfants était terminée. Le scientifique avait achevé ses travaux attenants aux transferts entre les mondes. L’écologiste avait résolu toutes les conditions de vie et le commandant était fier de ses troupes de guerrières. L’île n’avait plus besoin d’eux et possédait sa propre énergie et était devenu autonome. Elle pouvait, désormais, vivre en autarcie complète.

À présent, ils étaient résolus à quitter l’île. Le conquérant et son épouse assumeraient une mission de surveillance ce qui leur permettrait, régulièrement, d’avoir des informations concernant leurs enfants. Tout était organisé pour le retour. Le scientifique avait préparé les pierres lunaires qu’il avait remarquées dès le début de leur arrivée et les avaient chargées de l’énergie lunaire qui provenait de l’autre monde. Ils avaient attendu le moment propice car le scientifique avait exigé le meilleur moment afin de vérifier et d’expérimenter, in situ, la technologie du transfert lunaire. À point nommé, ils montèrent dans le bateau qui leur avait été préparé. Ils s’éloignèrent du rivage et gagnèrent la mer. Tout doucement, sans bruit ni agitation, l’horizon de la mer bascula. Lorsqu’il se stabilisa presque immédiatement, ils purent observer l’astre lunaire dans toute sa splendeur. Le disque parfaitement rond dardait ses rayons d’argent sur la mer et illuminait la nuit bleue.

La mission qui leur avait été confiée était désormais terminée. Chacun avait œuvré de manière que l’instigateur ne soit plus indispensable à la vie dans l’île. C’était une protection à deux faces ; ce que chacun des compagnons avait mis en place était stable, autonome et aucun d’eux ne serait sollicité par la suite. Il leur restait une dernière chose à accomplir : retrouver le peuple dont la princesse était issue afin de rendre compte du travail accompli. Depuis leur barque, ils lévitèrent jusqu’à atteindre le laboratoire puis, la salle où était toujours dissimulée la table d’émeraude.

Le chef et quelques-uns de ses hommes étaient déjà là. Visiblement, ils connaissaient précisément l’instant où le conquérant et ses compagnons allaient revenir.

« Mes félicitations ! » S’exclama le chef. « J’ai observé vos efforts, vos réalisations ainsi que vos méthodologies. Elles sont remarquables. Vous vous êtes parfaitement acquittés de votre mission. »

« Quelle est l’utilisation que vous allez faire de cette île ? » Demanda le conquérant.

« Je ne peux pas te répondre car nous n’en sommes que les gardiens. » Lui répondit le chef. « Sache, en revanche, que si tu as participé à son organisation, c’est que tu as toujours été guidé et que tu le seras encore. Lorsque le temps sera venu, les créateurs de ce monde te rappelleront et, alors, tu les rejoindras. »

« Encore une question. Quelle est la nature de la table d’émeraude ? Nous avons découvert une stèle gravée d’écritures et d’inscription. Y a-t-il un rapport entre les deux ? » Réclama le conquérant.

« Encore une fois, nous ne sommes que les gardiens. Cependant, je peux te dire que la table d’émeraude est un créateur et un destructeur de monde. Quant à la stèle, c’est un témoin des civilisations passées pour les civilisations futures. Maintenant, tu vas rejoindre les tiens mais je peux t’assurer que tu trouveras les réponses à tes questions dans ton propre monde, chez toi, chez les tiens. »

La princesse prit la main du conquérant. Ils avaient un long chemin à faire avant de retrouver la civilisation. Mais ils avaient tout leur temps. Un jour, ils retrouveraient leurs enfants mais, pour l’instant, ils avaient autre chose à faire.

Le maître

Le maître et ses compagnons s’étaient assis sur une place dénudée.

« Ce lieu est le vestige d’une civilisation disparue aujourd’hui. Bien avant votre ère. » Leur annonça le mentor. « Un cataclysme survint à la surface de la Terre et les peuples les plus avancés durent leur salut en s’enfonçant sous les profondeurs de la terre pour échapper à la fin du monde. Ils recréèrent suffisamment loin des radiations mortelles des conditions de vie favorables et continuèrent ainsi leur culture. La catastrophe qui avait détruit la vie en surface leur donna une nouvelle impulsion pour développer leurs recherches et pour s’épanouir. L’expérience en fut prospère et, en quelques générations, ils purent atteindre le stade qui leur permit de découvrir la presque totalité de ce que vous avez vous-mêmes appris depuis que nous nous sommes rencontrés. Ce sont nos lointains ancêtres. Ils ont quitté leur monde souterrain pour aller vers les étoiles sans se déplacer. Tout est resté intact car le site avait été remarquablement protégé. C’est à partir d’ici, loin des activités terrestres d’aujourd’hui que vous allez pouvoir créer votre univers bulle sans attirer l’attention. Le fait que nous soyons très éloignés des mers du globe ne pose pas plus de problème que si elles étaient loin dans l’espace. »

« Par quoi commençons-nous ? » Demanda le maître.

« Tout d’abord par rechercher la note qui va s’harmoniser avec les océans. » Répondit le mentor. « Attention ! La matière est vivante ! »

« Avons-nous un moyen pour communiquer avec la matière vivante ? » Demanda le maître.

« Oui ! Vous avez tous reçu un cristal. » Répondit le mentor. Chacun des compagnons sortit la pierre qu’il avait obtenue durant son initiation.

« Ces pierres sont un témoignage. » Expliqua le mentor. « Elles vous relient à vos âmes ancestrales. Elles sont là pour vous réunir car vos âmes sont associées de manière karmique. La réunion des douze pierres ainsi que de leurs propriétaires permet à votre treizième âme de se manifester. Cette treizième âme est votre nouvel acquit dans cette vie. C’est elle qui représente le lien avec la matière vivante. Ne cherchez pas en vous-mêmes, elle va se manifester d’elle-même.

« Pourquoi ne s’est-elle jamais encore extériorisée ? » Demanda le maître.

« Parce que vous ne vous étiez jamais rassemblés avec vos pierres dans le but de communiquer avec la matière vivante. C’est la première fois que cela se produit. Inutile d’en chercher la raison, c’est la première manifestation de votre treizième âme. C’est elle qui vous a guidé vers votre désir. Maintenant, entonnons notre chant. Vous êtes accompagnés par une très puissante alliée. »

Dès les premières notes, l’océan s’ouvrit. Il paraissait immensément vaste et profond. Il sembla au chanteur qu’il remplissait entièrement l’univers. Les eaux étaient agitées par des vagues d’emphase et anéantissait toute autre trace que l’amour n’aurait pu recouvrir. Le contact fut d’une grande douceur et d’une grande chaleur. Puis le chant devint plus fort et souleva l’océan sauvage. Alors, la treizième voix se mêla au chant et renvoya une mélodie enflammée qui parlait dans le cœur des chanteurs et qui transportait l’extase, la tendresse et la volupté. L’intensité de cette relation intense entre les hommes et l’océan enfanta une bulle univers en son sein.

« Création parfaitement maîtrisée et assistée. Votre treizième âme est remarquable. Tout autant que vous tous réunis. Venez ! Allons visiter votre nouveau monde. » Conclut le mentor.

« Est-il nécessaire de faire appel à la treizième âme chaque fois que nous devons créer ? » Insista l’astronome.

Le mentor se retourna. Il n’était pas agacé mais répondit d’une manière brusque. « La treizième âme représente, pour vous, l’étincelle primitive. Qu’est-ce que l’étincelle primitive allez-vous me dire ! » Dit-il en fixant la jeune astronome d’un regard paternel. « Représentez-vous l’étincelle de la création primitive. Au commencement Dieu ! Et c’est tout ! Et c’est tout l’univers passé, présent et futur condensé en un point. Dieu crée l’univers. Une étincelle infiniment réduite dans le temps, proche du zéro. L’étincelle est tellement forte, qu’elle produit la matière. Matière tellement forte qu’elle engendre le temps. Matière et temps tellement forts qu’ils engendrent l’espace. Et cela dès la première seconde de la création. Vous voulez continuer ? L’étincelle s’est produite en un coup et un seul. Tout ce qui existe, aujourd’hui, provient de ce premier coup. Et après ? Les corpuscules s’associent et génèrent l’atome, les molécules, la vie. Un hasard ? Rien de cela. Un seul coup, souvenez-vous. Un seul coup tellement fort qu’il a empreint toute la création. Et la création n’aura de cesse de reproduire l’étincelle du créateur. Avez-vous observé tous les phénomènes universels ? Aussi bien dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand, jusqu’à votre échelle ? Les atomes, les cristaux, les plantes, les animaux, l’homme. Avez-vous remarqué toutes les coïncidences ? L’arbre de vie, les formes géométriques, les mathématiques, les transmissions télépathiques ? Pourquoi la nature reproduit-elle toujours les mêmes aspects ? Parce que l’étincelle primitive a libéré et créé l’univers. Et, dès lors, la nature reproduit à tous les étages la même énergie universelle. Pourquoi une treizième âme ? Parce que le créateur est présent dans toute sa création et que si un groupe d’âme se réincarne en douze êtres humains, il est la treizième âme. La treizième partie n’est pas nécessaire au tout, elle est le tout. »

« Allons visiter votre nouveau monde ! » Répéta le mentor.

Ils entrèrent tous dans la bulle univers. L’œuf avait éclos et donnait l’apparence d’une île paisible au milieu d’un océan interne. L’île était le noyau de l’œuf. L’océan remplissait la matrice et apportait la vie. La première impression laissait une vue enchanteresse d’une minuscule planète formée d’eau et chapeautée d’une petite terre qui émergeait de l’ensemble.

« Remarquez la structure de la bulle. » Fit observer le mentor. On la voit sphérique de l’extérieur comme contenue dans une bulle. Regardez maintenant. La bulle parait toujours sphérique mais orientée dans l’autre sens comme si elle avait été retournée. Et c’est ce qu’elle est. Elle est retournée. Elle vous apparaît sphérique mais ne vous y trompez pas. C’est une sphère retournée. Je vais vous en faire la démonstration. »

Ils entonnèrent un chant lévitique. Ils flottèrent au-dessus du sol jusqu’à atteindre le centre de l’île et s’élevèrent jusqu’à ce que, bizarrement, ils se sentirent la tête en bas. Effectivement, au-dessus d’eux s’imposait la mer. Une étrange sensation. Ils firent un demi-tour pour se stabiliser sur la surface des eaux. »

« Vous avez compris. Cette bulle n’est pas sphérique, elle n’est pas creuse, elle est retournée ! » Déclara le mentor. « Et, de plus, elle possède beaucoup de propriétés cachées. »

« Quelles propriétés cachées ? » Interrogea la femme médecin.

« Quelles autres propriétés que la vie elle-même ? » Répondit le mentor. En créant cette bulle, dans l’eau de la vie, vous lui avez transmis la vie et la transparence. La vie signifie que l’homme y habite. La transparence signifie que toutes les traces des civilisations humaines sont reproduites dans l’île. »

« Quelle est la raison des pierres ? » Demanda l’astronome.

« Lors de votre dernière réincarnation terrestre, il y a eu séparation. Séparation entre toutes vos entités de vie et leurs liens avec le créateur. La séparation s’est matérialisée par des pierres qui rappellent le lien qui a existé avant de revenir sur terre. Le fait de retrouver vos pierres vous a rétabli le lien avec le créateur. » Expliqua le mentor.

« Donc, nous sommes redevenus nous-mêmes ? »

« Oui et non ! » Poursuivit le mentor. « Imaginez-vous vos âmes ainsi que toutes celles qui se sont incarnées dans vos vies précédentes. Imaginez alors une longue chaîne qui relie la première âme à la dernière. Imaginez un réseau dans lequel toutes ces âmes sont interconnectées. Imaginez que vous puissiez entrer en relation avec chacune d’elles. Cela n’est pas impossible dans cette vie terrestre mais très difficile parce que la raison de votre incarnation actuelle et de faire émerger une nouvelle combinaison de vos âmes. Et pour que cette vie soit la plus riche possible, la connexion avec votre réseau est cachée. Elle n’est pas coupée, elle est simplement cachée. Car ce qui est le plus important dans votre vie actuelle, c’est votre partie émergée. La partie immergée quant à elle a déjà vécu tout ce que vous avez vécu mais différemment. Elle n’a pas à intervenir directement dans votre vie. Elle intervient inconsciemment pour vous aider et vous donner de la force mais en vous laissant libre de vos choix. Cependant, il arrive que le réseau ait besoin de se connecter pendant la vie terrestre. Cela arrive lorsque les âmes incarnées ont un travail de liaison. C’est pour cela qu’il existe des pierres, des cristaux, des symboles matériels pour vous permettre d’établir la relation avec votre réseau en pleine conscience. Aujourd’hui, vous avez le pouvoir d’entrer en communication et de ressentir tout votre réseau d’âmes. De même que votre ancêtre l’a ressenti lors de son passage. À présent unissez-vous et rappelez-vous ! »

Le maître et ses compagnons formèrent un cercle. Ils s’assirent, déposèrent leurs pierres dans leurs girons et se saisirent les mains. Une chaleur monta de la pierre jusque dans leurs cœurs et ils perçurent un courant fort qui passait entre eux d’une main à l’autre. Ils virent alors distinctement au milieu d’eux celui qui avait vécu auparavant et toute son histoire. Ils le virent mourir et ressentirent avec lui toute son expérience. Ils vécurent avec lui sa traversée, les personnages rencontrés, les visions et les émotions. En même temps que le sage découvrait son réseau d’âmes, chacun des compagnons se reconnaissait dans les maillons de la chaîne. Et c’est ainsi qu’ils connurent ceux qui avaient précédé leurs ancêtres et toutes les formes de vie empruntées. Lorsque, sous l’impulsion d’une onde très forte, ils lâchèrent leurs mains ensemble, ils s’aperçurent que la liaison avec le réseau perdurait. La pierre n’était qu’une clé. Ils avaient créé de leurs corps physique la serrure. À présent, la porte était ouverte et le resterait à jamais.

« Je te reconnaît maintenant ! » S’exclama le maître. « Tu es le passeur qui nous a conduit lors de notre passage de la mort à la vie.

« On me donne beaucoup de noms. Tantôt passeur, tantôt mentor, tantôt messager. Il m’arrive même de prendre une apparence physique et mener pendant un temps une vie d’homme. »

« Qui es-tu en réalité ? » Questionna le maître.

« Je suis une représentation du créateur, je suis une flammèche de Dieu. Je suis comme une irruption solaire de l’astre divin. Je suis le fils de Dieu. J’aime les hommes et j’aide les hommes de tous les temps depuis le commencement jusqu’à la fin. Je revêts beaucoup de formes différentes mais je suis toujours avec les hommes. Je vis avec les vivants, j’accompagne les morts vers leur destinée. Vous m’avez également aperçu lors de l’ultime fusion de votre aïeul juste avant sa renaissance. Je suis intervenu dans chaque civilisation, chaque race depuis que l’homme existe. Il existe une trace de mes passages ; une pierre sur laquelle j’ai gravé toutes mes interventions. Je vous la lègue en témoignage. »

« Chacun de nous possède une pierre, alors. » Réfléchit le maître. « Peut-on inverser le phénomène ? C’est-à-dire refermer la serrure ? »

« Parfaitement. » Répondit le mentor. « En cas de nécessité, vous pouvez interrompre votre connexion au réseau. Cela signifie que vous reviendrez dans votre partie matérielle et qu’il vous sera dès lors absolument impossible de retrouver votre communion sans repasser par les pierres. Vos pierres peuvent, alternativement, ouvrir ou fermer vos esprits. C’est à vous de décider quand vient le moment de la fermeture et quand vient le moment de l’ouverture. »

Le maître et ses compagnons décidèrent de rester connectés tant qu’il ne serait pas nécessaire de rompre la connexion. Accompagnés du mentor, ils visitèrent et découvrirent le monde clos qu’ils avaient créé.

« Le passage est complexe. » Expliqua le mentor. « Vous pouvez, grâce à l’art du chant, pénétrer dans la bulle mais vous ne pourrez pas en sortir. C’est impossible car à l’intérieur, l’espace, le temps et la matière forment un anneau si fort que vous ne pourrez absolument pas le franchir. Le seul moyen est d’agir de l’extérieur. Veillez à ne jamais y venir tous ensemble. »

« N’y a-t-il vraiment aucun moyen ? » Demanda l’astronome.

« Aucun moyen de l’intérieur. Uniquement de l’extérieur. Il vous faudra résoudre cette énigme si vous voulez, un jour, utiliser votre bulle univers comme vous l’entendez. »

« Nous allons nous y consacrer dès maintenant. » Observa le maître. « Comment feras-tu, toi, pour nous faire revenir ? »

« C’est très simple, en vérité, je suis le fils de Dieu. C’est mon père qui me fait revenir car je suis toujours relié à lui malgré l’imperméabilité de la bulle. Mais notez, encore une fois, que le retour s’effectue de l’extérieur. Celui qui vient de l’extérieur doit repartir de l’extérieur. »

Ils visitèrent donc leur monde clos. Celui-ci était doté de propriétés remarquables. Tout d’abord, il se présentait sous la forme d’une petite planète parfaitement ronde. En réalité, c’était un monde creux, retourné sur lui-même. Plus on s’écartait du monde, plus on essayait d’atteindre les deux pôles les plus éloignés et plus on se rejoignait. Le temps, quant à lui, ne s’écoulait pas d’un passé vers un futur mais formait une boucle. Chaque instant, chaque micro seconde de la boucle temporelle était reliée à un instant donné du monde extérieur. Cette possibilité intéressante rappelait à l’initiée, toutes les représentations du dieu soleil dont les rayons atteignaient tous les points de la terre. Quant à la matière qui formait la planète creuse, elle était à la fois limitée, et à la fois infinie. C’était un peu complexe pour l’astronome qui souriait timidement quand on lui en demandait la raison. Le mentor vint à son secours et leur expliqua qu’ils étaient dans ce qu’on pourrait appeler les coulisses de l’univers.

Lorsqu’ils eurent terminé leur visite, ils regagnèrent le monde souterrain d’où ils avaient commencé leur travail.

« Votre travail est, pour l’instant terminé. » Dit le mentor. « Nous allons confier ce monde souterrain ainsi que les clés de votre bulle univers à des gardiens. Ce sont les derniers représentants d’une antique civilisation aujourd’hui disparue. Ils sauront mettre en place une surveillance discrète et seront toujours disponibles lorsque vous aurez besoin de réactiver le site. »

Le maître et ses compagnons entonnèrent leur dernier chant, le chant du retour. Ils se retrouvèrent dans la grande maison du maître. Le mentor et les êtres de lumières n’étaient plus avec eux mais chacun savait que, tôt ou tard, ils se reverraient un jour.

Le sage

L’enfant sage ne dormait pas. Ses yeux grands ouverts contemplaient le nouveau monde dans lequel sa conscience s’installait. Sa conscience était infime. Il savait simplement qu’il existait et c’était tout. Ses besoins physiologiques étaient, pour l’instant, les plus importants pour lui. Il commença à se développer.

Petit à petit, il prit conscience de son corps. Et, en même temps, il joua avec son corps comme si chaque partie de ce corps avait une vie propre. Petit à petit, au fur et à mesure qu’il grandissait, il se mit à communiquer avec son corps. C’était naturel pour lui puisque c’était ce qui se passait. Sa main n’était pas sa main mais un compagnon. Son pied n’était pas son pied mais un autre camarade. Il en était ainsi de ses jambes, ses bras, son torse. C’était comme une petite bande d’amis qui coexistaient en même temps que lui.

Il apprit à parler. Ou plutôt, il apprit à converser avec ses amis. Ils lui apprirent des tas de choses. D’abord, eux aussi étaient comme lui, au même stade mais pas au même endroit. Par moment sa main lui apprenait qu’il faisait nuit alors qu’on était en plein jour. Une autre fois, c’était son pied qui lui disait qu’il était en train de se baigner alors que l’enfant était assis. Chaque partie de son corps avait une vie propre et indépendante.

Il continua à grandir. Il continua à parler avec ses amis. Ils continuèrent à lui apprendre des tas de choses. Parfois, il savait à l’avance ce qui allait se passer parce que son pied le lui avait expliqué. Il arrivait aussi que sa main lui demande conseil. Alors, l’enfant expliquait à sa main comment faire. Tout son corps vivait en harmonie et chacune des parties s’aimaient les unes les autres. L’enfant grandissait ainsi très vite.

L’enfant comprit petit à petit que sa main n’était pas sa main mais la main d’un autre enfant comme lui et qui vivait très loin quelque part. De même, il apprit que son pied appartenait à une petite fille. C’est du moins ce que celui-ci lui avait révélé. Chaque partie de son corps était un lien vers un autre enfant.

Lorsqu’il apprit à compter, il sut qu’ils étaient en tout douze camarades. Cependant, il n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient. Quand il rencontrait un enfant de son âge, il vérifiait si cela aurait pu être l’un d’eux. Mais ce n’était jamais le cas. Et pourtant, chaque partie de son corps lui expliquait, par le détail, le récit de la vie de son propriétaire. Il savait, par exemple, qu’ils étaient six filles et six garçons. Ils étaient tous très intelligents car ils partageaient immédiatement toutes nouvelles connaissances. Mieux, ils avaient appris à comparer leurs propres idées et parvenaient à résoudre des problèmes très compliqués. Son entourage était fort étonné par ses capacités de déduction, de compréhension et d’analyse. Ils faisaient l’étonnement et l’admiration de tous.

Peu à peu, le désir de se retrouver augmenta. Il était jeune et savait qu’il faisait partie d’un groupe d’enfants différents des autres. Il décida qu’il devrait se mettre à la recherche de ses autres contacts.

Ses études furent brillantes. Accru par ses inters connexions, il excellait dans toutes les matières. Lorsqu’il fallut choisir une activité d’étude. Il concerta ses amis. La main voulait soigner les autres. Le pied désirait exercer la carrière des armes. L’autre main souhaitait se diriger vers la diplomatie. Son autre pied, esprit scientifique, formait le vœu de connaître les étoiles. Et, de cette manière, chacun avait ses aspirations. C’est ce qui se produisit. Ils empruntèrent tous des chemins différents. L’enfant progressait en n’ayant d’autre occupation que d’organiser tout ce que son corps lui apportait.

Un jour, il conversa avec ses compagnons plus intensément. Ces conversations devenaient de plus en plus coutumières. Il avait compris qu’ils étaient tous unis. Tous les douze. Ils savaient qu’ils étaient de retour. Tous les douze. Cependant, ils ressentaient autre chose. Au cœur de chacun, il y avait comme une étincelle qui faisait partie d’eux-mêmes mais qui leur était étranger. C’était un acquit. Il demanda à ses autres compagnons ce qu’ils ressentaient. Tous avaient le même message : il y a quelqu’un d’autre. L’enfant voulait en savoir plus. Il savait converser avec ses amis mais il sentait au plus profond de son cœur qu’un treizième compagnon coexistait et qu’il avait de la difficulté à s’exprimer. Qui était-il ? Pourquoi ne parlait-il pas comme les autres ? L’enfant ne comprenait pas.

L’enfant grandit encore. Il avait réussi à apprivoiser celui qui restait caché. Il ne pouvait pas lui poser de question intelligible car il ne parlait pas comme eux. En revanche, il lui montrait des images. L’image qui revenait le plus souvent était douze pierres. Douze pierres qui avaient été déposées afin qu’ils se réunissent tous. Tous ensembles.

L’enfant continua à grandir et devint jeune homme. Il n’avait, cependant, jamais encore trouvé ses compagnons. Au cours d’un voyage d’étude qui l’amena à l’étranger, sa main lui parla : « Je suis là, tout près de toi. » Il regarda autour de lui dans la foule de personnes qui s’affairaient. Elle était là, assise, la main sur son genou, intimement. Il s’approcha d’elle. « Bonjour ! » Lui dit-elle. « J’étudie l’astronomie et je suis nouvelle ici. » Sa main se posa sur son genou. « Bonjour à toi aussi ! Je suis heureux de te rencontrer physiquement. » Elle lui sourit, lui prit la main. Ensemble, ils se dirigèrent vers l’université.

Ils prirent une chambre ensemble et, à deux, mirent en commun leurs potentialités. Ils étaient émerveillés de découvrir que leurs rêves d’enfant existaient réellement. Chacun des deux jeunes gens possédaient l’intuition du groupe. Conjuguant leurs efforts, ils furent à même de détecter les autres individus qui formaient leur entité. Ils ne savaient pas où ils étaient exactement mais ils savaient qu’ils allaient se retrouver.

Au cours d’un voyage en Inde, de la même manière qu’ils s’étaient rencontrés, ils firent la connaissance de deux étudiants. L’un étudiait le droit tandis que sa compagne étudiait la médecine. Ils n’eurent pas à observer leurs parties du corps. Dès qu’ils furent en présence, ils surent qu’ils étaient unis. Cette unité à quatre personnes les rendit encore plus sûrs d’eux-mêmes. Bien que séparés par la suite, ils continuaient à correspondre.

À l’occasion d’une éclipse, ils se rendirent en Afrique. La jeune fille astronome avait persuadé son mari d’assister à l’évènement le plus important du siècle. Le jeune homme avait acquiescé spontanément. Le soir de l’éclipse, assis dans l’herbe sur la montagne pour observer le phénomène, ils firent connaissance avec leurs voisins. Deux jeunes gens de leur âge, fils et fille de roi. Ils étaient issus d’un petit royaume et recherchaient depuis des années leurs âmes communicantes. Aussitôt qu’ils se virent, ils se reconnurent. Ils se retrouvèrent à plusieurs reprises. Tous les six.

Mais ils n’avaient toujours pas trouvé les pierres.

Chacun exerça et développa ses activités. Ils restaient toujours en relation. Au cours d’un autre voyage en Asie, ils furent guidés vers deux autres jeunes gens de leur âge. Ils s’étaient spécialisés dans les sciences occultes afin de découvrir ce qui les unissait. Ils avaient mis beaucoup d’années avant de se rencontrer car les déplacements dans leurs pays étaient laborieux et demandaient beaucoup plus de temps. Ils s’étaient rejoint tous les huit. Mais les deux nouveaux arrivants n’avaient pas d’information sur les pierres.

En revanche, ensemble, ils purent aisément retrouver les autres parties d’eux-mêmes. Ils entrèrent ainsi en contact avec un jeune homme fougueux, fier et habilité au métier des armes. C’était un cavalier émérite. Son habileté au maniement de l’arc provoquait le respect et l’admiration de tous. Il vivait dans les steppes du nord de l’Eurasie. C’était un guerrier redoutable. Mais, lorsqu’ils se rencontrèrent, ce dernier reconnu la flamme qui brûlait dans son cœur depuis son enfance. Il mit son épée au service de ses compagnons. Ils étaient neuf.

Ils furent attirés vers l’Europe et rencontrèrent leur dixième partie. Un garçon épris de justice. La droiture était son emblème. Il avait décidé de se mettre au service de l’humanité et avait choisi la carrière de la justice. C’est de cette manière qu’il pensait rétablir les iniquités et les torts. Dès le premier contact de ceux qu’il attendait depuis toujours, il décida de les suivre et, ainsi, d’apporter l’équité. Ils étaient dix.

Partant vers l’ouest, ils traversèrent l’océan afin de retrouver une femme qui avait étudié toutes les disciplines connues et d’autres inconnues voire secrètes. Elle était issue d’une tribu très ancienne et avait réussi à concilier ses connaissances ancestrales avec les sciences modernes. Elle était initiée à plusieurs arts, plusieurs matières et études variés et complémentaires. Elle avait prévu depuis longtemps leur venue et était prête. Ils étaient onze.

Ce fut la jeune initiée qui leur révéla le dernier refuge dans lequel ils pourraient se compléter. La douzième personne vivait au-delà des océans, aux antipodes. Ils traversèrent le monde à sa recherche. La retrouver aurait, normalement, été impossible car elle avait choisi de se retrancher du monde pour se consacrer à la méditation et au recueillement. Mais en conjuguant leurs capacités ils la localisèrent facilement une fois arrivés sur le continent océanien. Elle ne fut pas surprise de les voir arriver un matin. Elle était un peu triste de quitter son refuge mais elle était préparée depuis longtemps à suivre ses alliés intimes. Ils étaient, enfin, douze.

Ils poursuivirent ensemble leur mission à la recherche des pierres. Mais ils ne les trouvèrent pas. Ils n’avaient pas échoués cependant. Ils apprirent petit à petit au cours de leurs recherches que les pierres ne faisaient pas partie de leur monde actuel et qu’il leur faudrait beaucoup de patience avant qu’ils les découvrent. Ils constatèrent, par exemple, que les pierres symbolisaient leur passage dans ce monde ainsi qu’un autre passage vers un autre monde qui aurait lieu un jour futur.

Alors, ils se séparèrent physiquement mais sans jamais perdre le contact. Au cours des années, chacun développa son propre art. Ils devinrent des hommes et des femmes adultes. Le garçon, après avoir beaucoup voyagé et conquis tout ce qu’il avait découvert devint maître d’un grand domaine dans lequel il fit bâtir un château. Il l’avait désiré très vaste car ce devait être le lieu de leurs rencontres. Plusieurs fois dans l’année, les douze compagnons se ralliaient et confrontaient leurs travaux. Certains vivaient en couple, d’autres étaient solitaires.

Plus le temps passait et plus le besoin de se retrouver devenait fort. À chaque réunion, ils recouvraient la plénitude de l’être rassemblé. Comme une liaison amoureuse. Une relation que personne d’autre qu’eux-mêmes n’aurait pu expliquer.

Grâce à leurs activités variées, leur association leur permit beaucoup d’initiatives et de réussites. Non seulement chacun excellait dans son art, mais, de manière intuitive comme un phénomène d’osmose, chacun transmettait son énergie au groupe. Chacun ne travaillait pas pour lui-même mais pour le groupe tout entier.

Le maître et l’astronome avaient eu deux enfants ensemble. Des jumeaux. Le groupe prit en charge leur éducation ainsi que pour les autres enfants nés en son sein. L’autonomie, la responsabilité et l’affirmation de soi étaient les trois piliers de cette éducation.

Quelque part, tapi au plus profond d’eux-mêmes, le sage s’était épanouit.


Lorsque l’enfant nouveau naquit, il récupéra quatre essences. Il était voyageur car il arrivait sur un nouveau terrain. Il était conquérant car chaque étape devait être assimilée pour son apprentissage. Du fait de ses expériences nouvelles, il était maître car il apprenait et comprenait. À chaque cycle d’apprentissage, il devenait sage. Chaque nouveau cycle, il recommençait comme un moteur à quatre temps. Un temps pour la découverte, un temps pour l’assimilation, un temps pour l’emprise, un temps pour la sagesse.

L’enfant grandit difficilement. Il avait conscience qu’il était différent mais il voyait que tous les autres, aussi, étaient différents. Il pensait qu’il était unique mais tous les autres étaient uniques. Il croyait qu’il avait raison sur tout mais tout le monde avait raison sur tout. Il faisait de nouveaux apprentissages mais tout le monde faisait de nouveaux apprentissages. Il essayait de se démarquer mais tout le monde se démarquait. Il voulait être homme mais tout le monde était homme.

L’enfant continua à grandir plus difficilement. Mais rien de ce qu’il apprenait ne le démarquait des autres. Il tenta pendant un moment d’être le plus fort, le plus érudit mais tous ses efforts passaient inaperçus. Il devait trouver sa voie.

L’enfant grandissait toujours mais ne savait plus comment évoluer. Cependant, depuis sa naissance, il possédait ce qu’il appelait sa ‘petite voix’ qui le rassurait et qui le conseillait. Dans sa petite enfance, ça avait été un ami imaginaire qu’il rencontrait tous les jours. Dans son adolescence, cela représentait une étincelle divine enfouie au plus profond de lui-même.

Parallèlement, sans que l’enfant en ait conscience, un être surnaturel grandissait. Un être fort. Un être capable de soulever des montagnes. Cet être était complet et évoluait dans des dimensions supérieures au monde terrestre de l’enfant. Cependant, il existait un équilibre entre les deux êtres. L’être surnaturel qui était le pendant le l’enfant grandissait avec l’énergie de l’enfant terrestre. De temps en temps, l’être surnaturel épuisait l’enfant terrestre. Il était même arrivé à quelques reprises que l’être surnaturel pompait les ressources de l’enfant terrestre. À cet instant, l’être surnaturel devait redonner de l’énergie vitale à l’enfant. Tout cela parce que la coexistence entre les deux êtres était très subtile. Tout cela parce que le véritable être de l’enfant était cet être surnaturel qui avait conscience de l’enfant et qui avait besoin de l’énergie de l’enfant. Tout cela parce que l’enfant n’avait aucune conscience de son être surnaturel. La partie matérielle était tellement concrète aux yeux de l’enfant qu’il ne pouvait avoir conscience d’une représentation de lui-même qui se trouvait totalement diminué.

La petite voix avait grandi dans le cœur de l’enfant. Il finit par comprendre que c’était une petite porte étroite vers un autre monde. Il finit par comprendre qu’il devait grandir tout seul mais que sa petite voix le rassurait et l’aidait. Il finit par comprendre qu’il devait communiquer, non pas par dialogue, mais en conscience. Il finit par comprendre qu’il devait faire un avec sa petite voix. C’était très difficile.

L’être surnaturel grandissait avec tout son acquit. Pour cette vie actuelle, il était rattaché à la vie de l’enfant. Il avait beaucoup de choses à faire et beaucoup de pouvoirs. Cependant, il devait prêter attention à ce qu’il faisait car il puisait directement dans l’énergie de ses racines. S’il en demandait trop, ses racines s’essoufflaient et cela mettait la vie de l’enfant en danger. Il devait veiller à ce que sa vie immergée dans le monde terrestre soit en bonne santé.

L’enfant était sur la plage. Il aimait se lever tôt le matin pour assister au lever du soleil.


Le voyageur, le conquérant et le maître s’étaient retrouvés. Ils étaient réunis dans la grande maison.

« Qu’avez-vous accompli ? » Demanda le maître au voyageur et au conquérant.

« J’ai reçu un monde en héritage et je l’ai organisé afin qu’on puisse l’atteindre et qu’on puisse y vivre. » Dit le conquérant.

« J’ai découvert ce monde, je l’ai observé et j’en suis ressorti. » Dit le voyageur.

« Qu’avez-vous compris ? » Demanda le maître.

« J’ai compris qu’un monde est un lien. Une communication d’un peuple à un peuple. Nous n’avons pas à comprendre pourquoi il nous a été légué et nous n’avons pas à comprendre pourquoi nous le léguons. Cependant, j’ai compris que nous devons tout mettre en œuvre afin que l’héritage soit le plus constructif, le plus dense et le plus représentatif de nous-mêmes. » Répondit le conquérant.

« J’ai compris qu’un monde est une porte ouverte sur la connaissance. Qu’il ne faut pas chercher à comprendre quelle est cette connaissance mais l’accepter et donner de soi-même pour en faire partie. Comme un partage. C’est de cette offrande de soi-même que nous assimilons ce dont nous avons besoin et que nous grandissons. Ne rien rejeter, accepter l’inattendu comme un prolongement, aimer les échecs car ce sont des portes ouvertes sur de nouvelles solutions. » Répondit le voyageur.

« Quelles sont vos conclusions ? » Demanda le maître.

« Nous sommes les maillons d’une chaîne que nous devons transmettre. Il ne faut pas s’attarder sur le maillon mais sur la valeur de la chaîne elle-même. Si nous nous limitons au maillon, nous affaiblissons toute la chaîne à ce maillon. Mais si nous prenons conscience de la chaîne tout entière, alors le maillon n’est plus qu’un élément de la chaîne. Et loin de disparaître dans la chaîne, nous nous élevons à celle-ci. Si l’homme craint de mourir, alors il se limite à l’homme. Mais s’il accepte de mourir et de rendre son maillon à la chaîne, et en conséquence, il devient la chaîne. » Répondit le conquérant.

« Nous rencontrons des personnes, des lieux, des idées, des civilisations. Toujours aussi étranges et éloignées de nous. Le fait que nous soyons différents importe peu et importe beaucoup. Peu et beaucoup parce que cela nous permet de comprendre que nous sommes un point infime et que les autres représentent, au moment où la relation s’établit, toute la connaissance que nous devons assimiler. Peu car le point reçoit la grandeur. Beaucoup car tout ce que nous avons assimilé retourne vers nous même jusqu’à n’être qu’un point. » Répondit le voyageur.

« Que devez-vous faire à présent ? » Demanda le maître.

Le voyageur et le conquérant répondirent ensemble. « Nous revenons vers toi, père, nous sommes tes enfants, tu nous as envoyés, chacun, pour redécouvrir ce que tu as créé. Tout ce que tu attends de nous c’est que nous acceptions et prolongions ce que tu as mis en place. Nous avons découvert et commandé ton monde. Nous continuerons à accomplir notre devoir. »

Le maître sourit. Il se retourna vers ses propres compagnons qui acquiescèrent. « Voyez-vous, nous avons créé cette bulle univers. Nous avons créé le lien avec ceux qui nous en avaient donné le pouvoir. Nous avons recréé nos souvenirs mais nous n’avons été que des témoins. Nous non plus, nous n’avons pas cherché à comprendre ceux qui nous avaient enseignés. Nous avons accepté notre apprentissage et nous avons été, en quelque sorte, les maillons d’une chaîne que nous avons prolongée. Pourquoi prolongeons-nous cette chaîne ? Parce que nous avons pris conscience qu’en même temps que notre vie terrestre, il existe simultanément une manifestation formidable et extraordinaire de nous-mêmes. Quelle est la nature de cette manifestation ? Lorsque l’enfant naît sur terre, il revêt une apparence limitée et matérielle. Inconsciemment et sans qu’il en prenne connaissance, toute son entité réelle et non terrestre, et donc illimitée, va grandir avec lui. La représentation terrestre représente la racine matérialisée. Cette racine, c’est l’homme. La partie réelle qui n’est pas matérielle, grandit avec tous ses pouvoirs. L’équilibre existant entre les deux entités fait que lorsque la partie réelle de l’individu grandit et devient plus forte, la partie matérielle est affaiblie. Mais, prêtez attention. Sa partie matérielle est affaiblie si l’homme accepte de n’être qu’un maillon et accepte d’être humble. À ce moment-là, son être supérieur grandit. Si l’homme n’accepte pas cela, il va augmenter la force de son maillon et affaiblir la chaîne tout entière. Il sera fort dans sa vie et fortifiera son maillon mais ce ne sera qu’un maillon et rien de plus, un anneau isolé. La chaîne n’en profitera pas et son être supérieur diminuera. Dans le cas inverse, lorsqu’il consent à se réduire à un maillon, il fortifie l’ensemble et l’ensemble le fortifie. »

« Qu’en est-il de la stèle découverte dans l’île ? » Demanda le voyageur.

« Précisément. Cette stèle représente une chaîne non pas humaine mais transhumaine. Elle porte la marque de toutes les civilisations qui se sont succédé sur terre. » Répondit le maître.

« Succédées ? Mais il n’y a qu’une seule inscription, qu’un seul message ! » S’exclama le voyageur.

« Un seul message ? Pas tout à fait. Hormis le texte intelligible que tu as pu déchiffrer, tu as pu remarquer des décorations autour et sur les côtés. Ainsi que sur la face opposée. Ce ne sont pas des décorations ornementales. Ce sont des messages qui ont été transmis par des cultures précédentes. Il y a des écritures hiéroglyphiques, cunéiformes, runiques et d’autres qui n’ont jamais été découvertes. Cette stèle est unique sur terre. » Expliqua le maître.

« Mais alors, comment ces civilisations ont-elles eu accès à cette stèle et comment se retrouve-elle dans l’île ? » Interrogea le conquérant.

« N’oubliez pas que lorsque nous avons engendré la bulle univers, nous l’avons créée avec son propre espace-temps. Ce qui signifie qu’elle a coexisté avec toute l’histoire de l’humanité. En conclusion, si la stèle comporte autant de messages, c’est que chaque civilisation est entrée en communication avec l’île et y a laissé une trace. C’est un univers clos et replié sur lui-même. L’espace est refermé ainsi que le temps. Aussi loin que vous irez dans l’avenir ou dans le passé vous arriverez au même point. Cela engendre une dispersion dans le temps apparente. Mais ce désordre permet de relier dans un même temps tous les témoignages passés et futurs.
La stèle possède une autre propriété que celle de porter des messages : elle représente un signal. Et lorsque tous les messages seront alignés, la terre s’ouvrira à toutes les communications extraterrestres. » Répondit le maître.

« Et quand arrivera ce moment ? » Demanda le voyageur.

« Maintenant. » Conclut le maître. « Nous avons réalisé tous ensemble quatre constructions.
À notre naissance, nos vies antérieures nous ont légué le secret du passage. L’homme sage qui a vécu avant nous nous a transmis la connaissance du passage. Il nous a laissé des clés afin que nous puissions recevoir cet héritage.
Nous avons recouvré notre identité puis, notre initiation nous a révélé le secret du chant.
L’initiation du conquérant lui a révélé le secret de la lévitation et le pouvoir des transferts.
L’initiation du voyageur lui a révélé le secret de l’anneau de l’univers. Une boucle dans le temps, dans l’espace, dans la matière.
L’homme ne se construit pas pour lui-même mais pour le groupe qu’il représente. Le temps requis pour cette évolution crée une figure complexe. La stèle en est une représentation matérielle. »

« Pourquoi la table d’émeraude est-elle dangereuse ? » Demanda le conquérant.

« Parce qu’elle n’est pas d’origine terrestre. Ses pouvoirs pourraient annihiler la terre entière si elle était mal employée. C’est pourquoi elle doit demeurer cachée. L’homme possède les mêmes pouvoirs. C’est pourquoi il était important qu’il les développe lui-même. » Répondit le maître.


Ce soir-là, le maître et ses compagnons, le voyageur et le conquérant ainsi que son épouse et ses deux enfants étaient réunis. Il régnait une douce chaleur dans la maison et ses murs épais combattaient avec efficacité les assauts glacials du vent d’hiver. La journée avait été très douce mais, à présent, le froid hivernal avait repris sa place.

Désormais, ils étaient à nouveau ensemble. Le voyageur était heureux car ils allaient tous repartir bientôt dans leur monde éloigné et il retrouverait sa compagne. Il en avait une certaine nostalgie. Lui qui avait passé sa vie à voyager avait trouvé un pôle attractif plus puissant que les voyages : l’amour.

« Nous avons une quête qui a commencé il y a très longtemps avant que nous ne venions au monde. Nous avons tous contribué à la réaliser. Nous allons maintenant tous participer à l’élévation de l’humanité. Il y aura du travail ! » Annonça le maître.

Une grande lumière apparue au-dehors. Quatre lueurs s’en dégagèrent et entrèrent dans la grande salle dans laquelle ils s’étaient tous regroupés. Le maître reconnut les visiteurs qu’il avait rencontrés presque un an auparavant. « Bonsoir ! » Leur dit-il. « Soyez les bienvenus parmi nous. »

« Je vous salue tous et je vous remercie pour le travail considérable que vous avez effectué. » Dit l’un des visiteurs d’une voix cristalline. « Nous sommes prêts à vous accompagner. »

« Par quoi commençons-nous ? » Demandèrent les enfants.

« Par ce qui a le plus de mal à circuler sur votre monde. L’amour et l’acceptation. Nous allons cultiver tout cela dans notre serre afin de pouvoir subvenir aux besoins des peuples de la terre. Nous avons beaucoup de travail mais nous avons beaucoup de ressources. » Répliquèrent les êtres de lumières. « Vous avez acquis ne nouvelles connaissances qui vous ont enrichis, vous vous êtes rajustés avec vos origines. Maintenant, c’est la période de la réconciliation de toute l’humanité. »

La lumière se fit de plus en plus forte puis diminua, emportant les êtres humains et humanoïdes vers leur destin.

Fin

Tableau de Laureline Lechat

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