
L’errant, le guide et le veilleur partagent un même feu fragile.
L’un raconte, l’autre éclaire, le dernier apaise.
Ensemble, ils traversent la brume des jours plus hostiles
Et leur trio devient l’écho d’une sagesse sans emphase.
Mais aucun d’eux n’est un stratège et ne sait prévoir à l’avance ;
Ils sont joueurs et avisés mais sans tactique et sans tricher ;
Car trop honnête ne sait risquer sa vie au-devant de la mort
Et qui affrontera sa mort sera vainqueur ou bien vaincu.
Le voyageur
Le voyageur, ce matin-là, était différent. Il dormait paisiblement, il avait changé ses habitudes. Pour la première fois depuis longtemps, il avait décidé d’attendre ce que la journée allait lui apporter. Il était serein, confiant et avait lâché prise contre tous les précédents évènements. Ses intuitions étaient ses meilleurs guides. Sa compagne était blottie contre lui. Il avait resserré ses bras autour d’elle. Ils dormaient, tous deux, paisiblement. Rien ne pressait, il savait ce qu’il avait à faire.
Le vent agitait les rideaux, un goéland s’était aventuré sur la terrasse en quête de nourriture, on aurait dit que le temps cherchait sa proie. Pourtant, rien ne bougeait. Un gémissement langoureux. Un appel à un moment de tendresse. Des bras féminins se resserrant autour de son homme dans une matinée de fin d’été. Un moment de douce quiétude. Le voyageur, maître de son temps répondit à l’amour de sa compagne. L’amour était le début à tout.
Vers midi, il se leva nonchalamment. Les cris des oiseaux étaient stridents. Il alla sur la plage, ôta ses vêtements et plongea dans l’eau fraîche. Sa compagne le rejoignit et ils goûtèrent ensemble les embruns de la mer. Lorsqu’ils sortirent de l’eau, ils avaient faim. Sans s’être concertés, ils se dirigèrent vers la demeure des enfants.
La maison n’avait pas changé depuis leur dernière visite. Toujours ces étranges activités pratiquées par les enfants : lévitation, télékinésie, télépathie et d’autres pour lesquelles le voyageur n’avait pas de mot pour les décrire. Lorsqu’ils débouchèrent dans la salle à manger, le garçon blond et la fille brune les reconnurent ; ils coururent vers leurs visiteurs avec enthousiasme. Vraisemblablement, ils avaient gardé dans leur cœur de bons souvenirs et une expérience enrichissante. Ils invitèrent le voyageur et son amie à s’asseoir et partager leur repas.
Pendant qu’ils mangeaient, la fille brune déclara : « J’ai fait un rêve curieux, cette nuit ; et ce n’est pas la première fois. C’est un rêve récursif mais, cette fois-ci, il était beaucoup plus fort et intense. Je me retrouve devant une porte. Elle est noire. Parfaitement rectangulaire, lisse, dure et froide comme de la pierre. Elle se dresse devant moi comme un obstacle impossible à contourner. Et lorsque je sens l’embryon de l’intuition qui va me permettre d’en deviner la clef, je me réveille. Au début, j’étais frustrée d’avoir échoué. Mais cette nuit, j’ai compris que j’étais dans le monde des rêves et que j’avais trouvé la clef puisque je m’étais réveillée. J’avais donc réussi. En revanche, je ne me souviens pas de la nature de la clef. Mais ce n’est pas le plus important. Cette porte ressemble à un objet qui se remarque parfaitement dans l’île : la stèle ! »
« C’est intéressant. » Dit le voyageur. « Allons-y tous les quatre ! Inutile de donner de faux espoirs à nos compagnons. » Ils se levèrent, sortirent de la maison et, sans attirer l’attention, partirent en promenade. Une promenade découverte. Ils refirent le chemin qu’il avait parcouru auparavant. Presque une éternité pensait le voyageur tellement les derniers évènements avaient étiré le temps. Le temps avait passé très vite mais ce n’était pas le plus frappant. C’était cet étirement. Comme si chaque jour avait duré un mois. Il retrouva la colline en pleine lumière cette fois-ci. Il remarqua quelque chose qu’il n’avait pas pu discerner la première fois à cause de l’obscurité de la nuit : les pierres n’étaient pas vraiment noires mais faites d’un cristal translucide. À la lumière du jour, elles apparaissaient plus claires. De plus, elles étaient très régulièrement alignées. Enfin, au centre où trônait la stèle, celle-ci n’était pas à même le sol mais sertie dans un socle rocheux. Celui-ci était bâti de pierres très dures. L’ensemble n’était pas une simple décoration. Chaque pierre avait son rôle comme les pièces sur un échiquier. La stèle demeurait conforme à sa première visite. Le même texte gravé, imperturbable.
Le voyageur scrutait les environs, il pressentait que quelque chose lui avait échappé depuis le début. Les pierres. Il retourna les observer. Quelle était leur nature ? Il en avait déjà aperçu auparavant. Il chercha dans ses souvenirs. Des pierres de lune ! Que disait-on à leur propos ? La Pierre de Lune apporte l’amour, le bonheur, la chance. Elle avive l’intelligence et permet de bonnes affaires car elle est soumise à l’influence lunaire. Elle assure une bonne route aux voyageurs. C’est une pierre féminine qui favorise la douceur, l’intuition, l’équilibre et l’expression des émotions refoulées, particulièrement chez les hommes. En lune descendante, elle est dédiée aux mystères de la nuit et est bénéfique à la voyance, à la mémoire, à la médiumnité, au rêve, et stimule l’inspiration.
Tous ces souvenirs revenaient dans l’esprit du voyageur. « La lune ! » S’exclama-t-il ! « Il n’y a pas de lune ! Le soleil marche à l’envers, la Terre ressemble à notre Terre ; mais il n’y a pas de lune ! »
Comment cela se faisait-il ? C’était peut-être anodin et pourtant … Pourquoi n’y avait-il pas de lune dans ce monde ? Parce qu’ils n’étaient pas à l’air libre. Ils étaient dans un monde clos. Alors, quelle était la signification de ces pierres de lune alignées dans le chemin qui mène à la stèle ?
À tous les quatre, ils examinèrent la question. « Les pierres de lune sont de nature féminine, n’est-ce pas ? » Demanda la jeune fille brune. « Alors, la stèle pourrait être de nature masculine ? » Le garçon répliqua : « Et à quoi cela nous avance-t-il ? Voilà ! Nous sommes très heureux de nous retrouver dans une fleur de pierre faite d’étamines lunaires et un pistil stellaire ! Ça ne nous avance pas plus ! »
Le voyageur pesait chaque mot et regardait autour de lui. « Ça ne nous avance pas, mais il est vrai que la remarque est pertinente. Les pierres sont sexuées. Reste à savoir pour quelle raison ! Reste à savoir quelle est la signification de l’absence de lune. Bien sûr, nous sommes dans un monde clos. La lune est donc à l’extérieur de ce monde. Le passage se fait par l’eau comme … les marées. Rentrons, il faut que je m’entretienne avec le capitaine. »
Celui-ci était à quai, occupé à vérifier son bateau. Il désirait être prêt à appareiller si un espoir pouvait gonfler ses voiles. Le voyageur grimpa à bord et lui révéla les découvertes de la matinée. Le capitaine était éberlué de n’avoir jamais de lui-même remarqué l’absence de la lune. « Les marées, bien sûr, sont conduites par l’attraction lunaire. Tu crois que cette même attraction a provoqué le raz-de-marée qui nous a fait échouer ici ? »
« Eh bien, vous souvenez vous quelle était la phase de la lune lorsque le phénomène s’est produit ? » Demanda le voyageur au capitaine.
« Nous étions en pleine lune ! J’en suis certain ! » Rétorqua le capitaine.
« Si mon intuition est la bonne, la lune est le moteur du phénomène de passage. Mais elle ne doit pas en être l’unique responsable. Sans cela, d’autres navires auraient fait le même parcours que nous. Il y a certainement un déclencheur. Je ne sais pas encore lequel. Mais je pense tenir une piste. Celui qui est entré par l’eau sortira par l’eau. Si la lune provoque le transfert de l’extérieur vers l’intérieur, elle peut déclencher le retour. Peut-être. Bien que nous ne la voyions pas, quelle serait la prochaine phase de pleine lune ? »
Le capitaine fit un rapide calcul : « Dans trois jours. »
« Très bien, cela nous laisse le temps de nous préparer. » Dit tranquillement le voyageur en levant les yeux vers l’horizon. « Préparez-vous pour le retour. Attention ! Pas de faux espoirs ! Mais nous avons une chance de rentrer chez nous. Si la lune est avec nous. »
Il redescendit sur le quai et rejoignit ses trois compagnons de promenade. « Retournons voir la stèle maintenant ! » Leur dit-il sans autre explication.
Ses amis regardaient le voyageur pendant qu’ils marchaient. Ils l’avaient accepté en tant que responsable et tous se fiaient à lui. Ils lui en étaient reconnaissants car il avait ranimé une flamme dans le cœur de chacun. Mais personne ne disait mot, chacun préservait et continuait à nourrir cette flamme que le voyageur leur avait révélée.
Lorsqu’ils atteignirent la stèle, les derniers rayons du soleil avaient jeté un mince rayon de lumière. À présent, la nuit nimbait la colline. Comme la toute première fois où le voyageur avait été confronté au monument. Pas de lumière, et pourtant, quelque chose. C’était ce dernier rayon de lumière qui avait interpellé le voyageur. Il avait vu quelque chose. On ne pouvait le voir en pleine lumière ni dans l’obscurité. Mais ce dernier rayon ! Il avait vu quelque chose de furtif, tellement rapide qu’il n’avait pu l’observer mais il en avait gravé l’évènement dans sa mémoire. Voyons. Qu’est-ce que cet ultime rayon avait éveillé en lui ? Mais bien sûr ! Le passage du jour à la nuit avait renvoyé un écho depuis la stèle. Le passage était lié à celle-ci. Le mécanisme était là tout près de lui. « La lune n’apparaît pas dans ce monde ! » Se dit le voyageur. « Pourtant le passage du jour à la nuit a renvoyé un écho. Je l’ai senti. Ce sont les pierres qui agissent comme amplificateur ! Elles se chargent pendant la lumière du jour. Ce sont elles, l’énergie motrice qui commande le passage. Mais le passage ne se déroule pas tous les jours. Parce qu’il faut une énergie émettrice. La lune. La lune envoie l’énergie nécessaire pour le retour. Les pierres et la stèle emmagasinent l’énergie requise mais c’est la lune dans l’autre monde qui commande. La stèle ! C’est un tableau de commande ! » Il s’approcha de celle-ci. Il l’escalada. Face au texte gravé. Autour de la dalle, des encoches. Une pour chaque pierre alentour. Devant, la baie, la mer. Derrière, une encoche plus profonde. Pas de pierre derrière le voyageur. Où était la pierre manquante ?
« Écoutez-moi tous ! » cria le voyageur. Il manque une pierre ici ! Elle doit être volumineuse et devrait être ici ! » Il désigna l’emplacement vide. « Elle doit être certainement quelque part par ici ! »
Ils cherchèrent, sondant le terrain. « Je l’ai trouvée ! » Cria la jeune fille brune. Elle était à quelques pas des autres, dissimulée dans un creux de rocher. Ils la dégagèrent. Elle était au moins dix fois plus volumineuse que les autres pierres. Ils l’installèrent à son emplacement. Dès sa mise en place, ils sentirent tous une vibration qui rayonnait sur l’ensemble du site.
« C’est en place ! » Dit tranquillement le voyageur. « Nous pouvons rentrer maintenant ! Nous avons des préparatifs à faire. »
Dès le matin, le capitaine s’occupa de son bateau. Il fallait prévoir l’intendance pour plusieurs jours de navigation. Pendant ce temps, le voyageur annotait sur son carnet tous les évènements qui s’étaient déroulés depuis qu’ils avaient débarqué. Il tenait à relater le maximum de détails et d’observations. Certes, il désirait toujours partir et regagner le monde de ses origines mais, il commençait à apprécier ce havre de paix. C’est pourquoi, il désirait consigner avec le plus de précision possible leurs aventures. Il fit des croquis également. Il était un peu doué en dessin ; il représenta la plage, la baie, le village, la lagune où ils avaient accostés. Pour l’expédition dans la montagne, il puisa dans ses souvenirs. Pendant qu’il dessinait, il montra ses illustrations à ses compagnons de route pour préciser un trait, gommer et retracer un point.
Durant ces trois jours, tandis que les marins préparaient l’appareillage, le voyageur relatait et illustrait leur odyssée. Avant la fin du troisième jour, ils étaient prêts. Curieusement, les enfants n’étaient pas tentés par le voyage. D’autant plus que personne ne maîtrisait le passage d’un monde à l’autre. Le voyageur suivait son intuition mais sans garantie.
Le conquérant
Le conquérant ne dormait pas. Il explorait les recoins de la bibliothèque qui meublait son appartement. Ses intuitions l’avaient gardé éveillé. La demeure était silencieuse ; on n’entendait pas un bruit. Pour diriger l’expérience, il avait à sa disposition une très grande maison située en altitude ; un château. Dans la plus grande salle, il avait arrangé son laboratoire. La table d’émeraude avait été aménagée dans cet espace. La salle était immense ; le plafond, très haut, était formé d’une voûte qui embrassait la pièce et qui était soutenue par douze piliers imposants. Le conquérant aimait cet endroit ; il l’appelait son vaisseau de pierre. Il avait disposé en son centre un grand fauteuil de cuir noir. De là, il avait une vue immédiate sur la table d’émeraude.
La veille, il avait quitté ses trois compagnons et les avait laissés à leurs tâches. Le conquérant et la princesse avaient quitté le monde clos grâce à un transfert dirigé par le chef des tribus. Ils avaient alors regagné le monde souterrain et étaient retournés au temple dans lequel était enchâssée la table d’émeraude. Pour faire leurs expériences, le conquérant avait imposé de la faire sortir de la caverne et de la transporter dans les hauteurs de la Terre. Cela n’était ni facile, ni difficile mais tout simplement prévu.
Le temple se referma autour des humains. Les piliers qui en définissaient le pourtour se mirent à vibrer. « Nous remontons ! » Dit le chef. « La table d’émeraude revient à la surface après de très longues années. J’espère que tu sauras en être digne et que tu seras suffisamment humble pour t’accorder à elle ! »
Le matin arriva. Le conquérant n’avait décidemment pas trouvé le sommeil. Il faisait suffisamment lumineux maintenant. Il décida d’explorer un peu plus en détail sa demeure. La vue était immense. Juchée au sommet d’une montagne, elle offrait une vision à trois cent soixante degrés. On avait une position impressionnante : celle de dominer tous les paysages environnants. Autour de la maison, de grandes terrasses étaient bordées de jardins. L’entrée était monumentale. Le hall pouvait accueillir une centaine de personnes au moins. La salle à manger était de proportions analogues. C’était une maison de maître. Aux étages supérieurs, des couloirs partaient en étoile et donnaient sur de nombreuses chambres somptueuses et bien équipées. Mais son lieu prédestiné était au sous-sol dans les vastes caves aménagées. D’ailleurs elles ressemblaient plus à une cathédrale à cause des colonnes et des voûtes qu’à des caves. Cet endroit portait en ses murs la trace d’une vibration, d’une présence. C’est ici qu’on avait aménagé le laboratoire. C’est ici qu’allait se dérouler sa mission.
Il avait faim. Il regagna les cuisines. La princesse l’attendait là. L’odeur du pain frais et la vision des victuailles attisa son appétit. Ils partagèrent ensemble leur premier repas.
« Que vas-tu faire aujourd’hui ? » Lui demanda-t-elle. « Aujourd’hui, je vais me rendre sur place et prendre tous les éléments d’observation qu’auront assimilés nos amis. Tu me feras revenir le soir. J’aurais ainsi un premier aperçu et je pourrai m’y consacrer dès demain. »
Le transfert fut abrupt. Le conquérant avait l’impression de jouer à l’homme canon. La table d’émeraude était déjà trop puissante pour atteindre l’avant-poste de l’île. Il fallait trouver autre chose sinon, une manœuvre mal calculée pourrait anéantir l’île. On l’avait prévenu. Encore une tâche à programmer et à réaliser se dit-il.
Lorsqu’il arriva à l’orée du village, ses trois compagnons le saluèrent et le congratulèrent. Ils avaient beaucoup avancé depuis. L’écologiste avait installé des serres et cultivé dans celles-ci des fruits, légumes et racines de base. La faune était bien équilibrée et elle avait dressé le programme des chasses afin de contrebalancer l’équilibre de la vie. Le scientifique avait fait le tour de la question des transferts. Bien qu’impossible de l’intérieur, rien n’empêchait d’utiliser un moyen extérieur. Restait à le contrôler de l’intérieur et pour cela, il avait une idée. Le commandant avait dressé la structure de la société qui allait gouverner l’île. Les femmes auraient un entraînement particulier qui en ferait des guerrières. Les hommes joueraient un rôle plus administrateurs, laissant l’intendance à leurs femmes plus expérimentées dans ce domaine. Restait encore à instaurer l’éducation des enfants et surtout constituer un équilibre dans la société. Il y avait beaucoup de questions et les débats à leurs propos partaient dans toutes les directions. Le conquérant leur proposa de les écouter l’un après l’autre. Charge à lui de synthétiser les problèmes de chacun et d’en trouver la solution ou du moins une orientation.
Il commença par l’homme de science laissant les problèmes des deux autres femmes pour l’étape suivante. Deux étapes qui seront difficiles et importantes. Mais le problème du scientifique lui semblait plus simple c’est pourquoi il préféra l’aborder tout de suite.
« J’avais d’abord pensé à utiliser l’énergie solaire. Mais la présence de celui-ci des deux côtés atténue énormément les capacités dont j’ai besoin. Puis, il m’est venu une idée : pourquoi ne pas utiliser les phases lunaires. Bien sûr, l’inconvénient, est que son cycle dure vingt-huit jours alors que le cycle solaire n’est que d’un jour. Ce qui limite les transferts à un aller-retour par mois. En revanche, la lune est toujours présente, on peut l’utiliser et, de plus, c’est un astre naturel, nul ne pourra jamais en déceler le mécanisme étant donné que le mécanisme proprement dit sera la lune elle-même ! »
Le conquérant l’écouta très attentivement. « C’est une idée prodigieuse ! Ainsi, l’énergie sera d’intensité modérée et ponctuelle. Mais comment allez-vous procéder ? »
Le scientifique lui sourit : « Cela, c’est mon affaire. Je n’en ai que l’idée pour l’instant mais je vais trouver. Mais il y a encore d’autres problèmes qu’il me faut résoudre. D’abord, le cycle de l’eau interne. Ensuite organiser une voie de circulation cachée dans l’île. Il faudra, à partir du rivage, pouvoir atteindre la montagne et pouvoir descendre au cœur du volcan qui s’y niche. J’en ai tracé la voie mais je n’ai pas encore la moindre idée de la manière dont je vais m’y prendre. Encore autre chose : le langage ! Il est clair que des hommes de différentes nationalités arriveront dans l’île. Il faudra trouver un moyen de les faire communiquer. Voilà ! Pour l’instant ce sont toutes les énigmes qu’il me faut dénouer. »
« Fort bien ! » Répliqua le conquérant. « Je vous laisse continuer vos recherches et je vais y réfléchir de mon côté. Allons ! Il est temps que j’aille voir notre écologiste. »
Le conquérant se leva et appela l’écologiste. Celle-ci était fort occupée dans les serres. Lorsqu’elle l’aperçu, elle vint joyeusement à sa rencontre, un flacon à la main. « Goûtez-moi ça ! » L’invita-t-elle en lui remplissant un gobelet. Le conquérant porta le verre à ses narines. Une odeur douce-amère. Il but. Le liquide était un peu épais mais désaltérant, énergétique et surtout excellent. « J’en ai de différentes saveurs. Je peux également les faire fermenter. Selon les plats cuisinés, je peux marier les arômes et adapter chaque boisson. Pour la nourriture de base, je peux faire pousser des légumes à profusion dans les serres. Les bancs poissonneux semblent inépuisables et les coquillages apportent toutes les vitamines dont nous avons besoin. J’estime qu’un millier de personne peuvent vivre ici sans connaître de carences tout en ayant une alimentation très variée.
« Pas de viande animale ? » Interrogea le conquérant. « Ce ne sera pas nécessaire car toutes les protéines requises pour notre organisme sont présentes dans notre écosystème. De plus, une chaîne alimentaire animale entraînerait un déséquilibre de l’écosystème à cause des maladies, infections et virus qui s’y propagent trop facilement. N’oublions pas que nos habitants mèneront une vie simple et qui leur demandera beaucoup de temps et d’énergie. Inutile de semer le ver dans le fruit. Il y aura des animaux dans l’île, mais ils n’entreront pas dans la nourriture de base. Mais vous pourrez toujours chasser quelques oiseaux si le cœur vous en dit. Bien sûr, il y a beaucoup de points que je n’ai pas encore résolus. Il faut que j’étudie à fond chaque espèce de poissons, chaque espèce de plantes, chaque espèce de coquillages. Il faut que je vérifie l’équilibre entre prédateur et proie. Il faut que je fasse l’examen exhaustif de toutes les plantes médicinales. Il me faut encore faire beaucoup d’essais et de pratiques avant que tout soit en place. »
« C’est très bien comme cela. Je vous fais entièrement confiance et je suis même impatient de goûter à vos fameux repas assortis de boissons. » L’écologiste lui sourit : « Je vous en préparerai pour un soir où vous resterez parmi nous. »
Le conquérant s’éloigna et se dirigea vers la plage. Un groupe de jeunes gens était assis sur le sable. Un autre groupe pratiquait des activités sportives. Le commandant encourageait ce dernier groupe. Lorsqu’elle aperçut le conquérant, elle interrompit les exercices. Aussitôt le groupe de jeunes femmes s’arrêta et se dispersa calmement. « D’excellentes recrues ! J’ai essayé avec les hommes mais j’ai abandonné. Ils sont soit trop belliqueux, soit trop compétitifs, soit trop désinvoltes. Ils sont toujours trop quelque chose. Je ne peux pas compter sur eux pour l’intendance. Mes filles sont beaucoup plus réfléchies et responsables. Ce sont elles que j’entraîne afin de former une milice de guerrières. Elles sont beaucoup plus sûres et pertinentes. Elles ne cherchent pas à conquérir un pouvoir mais à protéger leurs semblables. Elles ne cherchent pas à montrer à tout prix leurs capacités ; elles le démontrent par leurs actes sans faire de bruit. Et puisque les hommes veulent jouer aux chefs, je vais justement leur donner ce rôle. À eux la jouissance du législatif ; à nous la liberté de l’exécutif. Nous nous entendrons le mieux du monde de cette manière. Ils auront ainsi tout leur temps disponible pour choisir les lois et choisir leurs chefs. Quant à nous, nous formerons l’unité la plus importante : celle qui apporte la nourriture et la sécurité. Si vous avez besoin de quelques hommes, n’ayez aucune appréhension : ils sont à vous ! »
Le conquérant, amusé, répliqua : « Peut être le scientifique sera-t-il ravi d’avoir de l’aide ? Pourquoi pas ? Il faudra le lui proposer. Mais toutes mes félicitations pour vos travaux, chère amie. Vos amazones ont, en effet, un air très impressionnant et très efficace. Une armée de femmes et un gouvernement d’hommes ? C’est original et, après tout, très énergique. Vous êtes très avancée dans votre tâche. Avez-vous des problèmes non résolus ? »
« Il faudra penser à l’équipement. Il doit être très léger et pratique. Il doit aussi permettre de porter des armes tout en laissant libres tous les mouvements de combat. Mais ce sont des détails. Cela va se résoudre tout seul. Mes filles sont très intuitives, elles ont beaucoup d’idées et sont très organisatrices. »
« Très bien ! » Répondit le conquérant. « Je vous laisse reprendre vos entraînements. Nous nous reverrons lors de notre prochaine visite. »
Il s’éloigna. L’ingéniosité développée par ses compagnons le rassurait. Il y avait encore du travail mais il était certain que chacun arriverait à l’accomplissement. Ils étaient tous très motivés et les premiers résultats étaient plus qu’encourageants. Le schéma était bien établi. Il restait à parachever l’œuvre commencée. Une brise fraîche caressait les joues du conquérant, le soleil se couchait en dardant ses derniers rayons sur la plage paradisiaque. L’île était en train de s’endormir tandis qu’une nuit apaisante s’apprêtait à la border.
A l’heure dite, il se dirigea vers la plage dans le périmètre prévu à cet effet. Il eut l’impression d’être happé par un aspirateur géant et se retrouva, un peu secoué, dans le laboratoire. « Vraiment éprouvant ces déplacements ! » La princesse lui sourit et l’embrassa tout en lui passa la main dans ses cheveux ébouriffés. « Viens te reposer à présent, mon grand conquérant ! » Amusé, il la suivit et se prépara à des transferts d’une autre sorte.
Le maître
Le maître ressentait encore, au matin, les échos de la nuit passée. Leurs hôtes leur avaient aménagés des chambres donnant sur le couloir supérieur. Chacun avait pris sa place ; les couples s’étaient formés. Ce matin-là, il se promenait dans les jardins en compagnie de l’astronome. Il n’y avait pas le lever de soleil habituel. Alors, pour compenser, la jeune astronome lui nommait les étoiles et les constellations. Elle l’informait sur les positions stellaires. Il y avait des milliards de soleils ; nul ne remplaçait celui de leurs origines mais le visage radieux de sa jeune compagne le lui rappelait.
Les uns et les autres s’étaient réveillés et les avaient rejoints. Les cristaux qu’ils portaient sur leur plexus brillaient d’une douce lumière. Ils avaient commencé à être lumineux pendant la nuit. À présent, la clarté qu’ils diffusaient était plus forte. Chacun sentait vibrer sa pierre comme si elle était le témoin de tout ce qui s’était passé jusqu’alors. Depuis qu’on avait éveillé leurs sens à l’écho, non seulement ils le ressentaient dans leurs corps mais tout ce qu’ils touchaient ou côtoyaient se nimbait d’une aura secrète et invisible jusqu’alors.
« Quel est le sens, ancré en nous, qui est sensible à l’écho ? » Avait demandé le maître à leurs initiateurs, la veille. « Le plus ancien et le plus primitif : » Lui avait-on répondu. « Depuis les premiers instants de la vie, le créateur y a mis son empreinte. Il nous a fait à l’image de sa nature. C’est pourquoi nous entrons en vibration comme l’aiguille d’une boussole qui indique le nord sur votre Terre. »
« Mais dans quelle partie du corps s’est-il retranché ? » Avait poursuivi le médecin. « Il est diffus dans toutes vos cellules. Il est dans l’eau de vos cellules. C’est lui qui permet, aujourd’hui, à vos cellules de s’orienter d’une manière magnétique. Ce sens caché qui a été refoulé pendant des millions d’années est toujours là, niché au cœur même de la vie de vos cellules : l’eau. Il porte la trace de l’énergie d’amour qui a créé l’univers tout entier. Allons ! Il faut que vous vous y habituiez et que vous vous en fortifiiez. Restez ensemble au début et faites des expériences les uns avec les autres, révisez toutes vos connaissances à la lumière de votre nouveau sens. Nous nous reverrons demain pour continuer votre formation. »
C’est ainsi qu’ils s’étaient, en un premier temps, groupés deux par deux pour affûter leur nouveau regard. Au premier instant, la sexualité différente de chacun des deux partenaires renvoyait une image complémentaire. Mais rapidement, les deux sexes montraient, avec évidence, les deux pôles de l’énergie créatrice. Ce n’étaient plus deux êtres de chair mais les deux pièces maîtresses de la création ; les deux extrémités de l’Univers ; les deux règnes fondamentaux des lois cosmiques.
Faire l’amour était un coup de fouet. Une décharge électrique entre les deux pôles. Leurs corps avaient été façonnés pour entrer en excitation lors de la rencontre. Toutefois, cette excitation était incomplètement ordonnée. Il fallait la présence éveillée de l’écho pour que l’excitation s’harmonise et s’amplifie pour prodiguer une énergie canalisée et de grande puissance. Non seulement à chaque étreinte le couple qu’ils formaient se sentait plus fort, mais ils commençaient à ressentir les objets qui étaient à proximité. Ce fut leur cristal qui leur révéla, en premier, une propriété étonnante. Une fois mis en vibration harmonique avec son détenteur, une lame de lumière montait verticalement transformant la pierre en une épée de feu. Autre constatation, les étreintes terminées, l’énergie ne descendait ni ne s’interrompait, elle restait stable. Ce n’est que plusieurs heures après qu’elle commençait à diminuer donnant une impulsion de contact au couple afin de faire remonter l’énergie.
C’était si intense, qu’ils décidèrent de temporiser et aller vers l’extérieur pour découvrir davantage et partager leurs connaissances avec leurs autres compagnons. Lorsqu’ils se retrouvèrent tous, ils surent, sans se parler, que chaque couple avait suivi le même enseignement. Lorsqu’ils se rapprochèrent, ils se sentirent tous unis comme s’ils formaient la même personne ; comme si l’univers tout entier était contenu au milieu d’eux.
Le lendemain, dans un matin approximatif, les douze compagnons convergèrent vers la salle de formation. Ils commençaient à s’habituer aux couloirs étoilés qui défiaient les lois de la pesanteur terrestre. Ils n’eurent aucun mal ni vertige à emprunter un passage qui leur paraissait totalement renversé. Lorsqu’ils entrèrent dans la salle, le haut, le bas, la droite et la gauche avaient été abolis. Ils flottaient d’une manière assez chaotique. Ils s’amusèrent à créer des danses insolites. Les jeunes femmes étaient enthousiastes, guidées par leurs cavaliers tout aussi ardents.
Une voix puissante se fit entendre. « Je vois que vous vous êtes habitués à notre topologie. Nous allons pouvoir commencer. »
Les humains s’avancèrent et montèrent sur une plate-forme. Il n’y avait pas de siège. L’instructeur se présenta : « Bonjour ! Notre premier exercice sera le chant. Par le chant vous allez harmoniser tous vos centres d’énergie. Par le chant vous allez faire vibrer ces centres d’énergie. Et par le chant, vous allez canaliser vos centres d’énergie. Nous allons commencer par une série simple. »
Il chanta une série de sept notes. Il les reprit une à une en remontant ses mains le long du corps. Les humains firent de même note après note. Plusieurs fois.
« Maintenant, nous allons tenir chaque note, l’une après l’autre jusqu’à ce que vous sentiez votre centre énergétique vibrer avec la note ! »
Ils reprirent tous chaque note en la tenant le plus longtemps possible. Chacun reprenait son souffle à tour de rôle de manière que la note soit la plus constante possible. Au bout d’un long moment, ils sentirent de la chaleur au bas de leur ventre. Le formateur leur fit signe d’arrêter, puis de reprendre après quelques minutes. De la même manière, la chaleur émergea au point identique.
« Vous étiez déjà assez doués ! Vous y êtes parvenus rapidement. Continuons. La note suivante. »
Et ils firent de même pour chacune des notes. Chaque fois qu’ils poussaient une nouvelle note, ils éveillaient en eux une nouvelle chaleur. Et cette chaleur revenait ensuite à chaque appel.
« Nous allons nous arrêter et nous restaurer maintenant. Cet après-midi, nous continuerons. »
Le maître et ses amis prirent une collation bienvenue. Ces exercices avaient été vigoureux. Ils ressentaient une certaine fatigue bien qu’elle ne fut pas trop accablante. Le repas était reconstituant et léger à la fois. Servi dans un cadre surprenant : la terrasse était de verre et l’on apercevait des voies de communications qui partaient dans toutes les directions. Au-dessus d’eux, d’autres personnes déjeunaient à l’envers, la tête en bas. Heureusement pour eux, ils avaient acquis un certain équilibre sans quoi leur lunch aurait été impossible. Après un moment de détente, les cours reprirent. Ils se sentaient guillerets, redevenus étudiants ; insouciants et pleins de vie.
« Nous allons pratiquer les chants sacrés à présent. Ces chants utilisent les notes que vous avez apprises ce matin et qui ont éveillé vos centres énergétiques. Un petit chant simple pour commencer. » L’enseignant leur fit écouter l’exercice. Ils reprirent tous ensemble. Au fur et à mesure qu’ils chantaient, la chaleur montait et descendait dans leur corps.
« Vous sentez dès à présent l’énergie qui circule. C’est la force du chant. Nous allons maintenant apprendre à canaliser cette force par des chants forts. » Le formateur leur donna un nouvel exercice. Le chant était beaucoup plus consistant. Simple d’aspect mais difficile à la pratique. Pendant qu’ils chantaient la chaleur rayonnait dans tous leurs centres énergétiques. Plus ils chantaient et plus ils sentaient les centres à l’unisson. Ils avaient l’impression de brûler comme un soleil.
« Ce que vous avez tous ressentis ce sont vos centres qui ont été harmonieusement canalisés. Par ce stade, vous êtes capables de produire une énergie considérable. Cela vous aidera par la suite. Demain, vous aurez un nouvel enseignement. Vous continuerez à pratiquer le chant mais avec d’autres personnes plus aguerries que moi dans cette compétence. Après le repas du soir, ils se réunissent sous le grand dôme vert. Rejoignez-nous. Vous assisterez au premier art étrange. »
Ils sortirent de la salle en sentant battre très fort leurs cœurs. Ils avaient l’impression que leurs os avaient été chauffés à blanc. Ils prirent leur repas avec grand appétit tout en discutant et conversant sur les enseignements de la journée. Chacun exprimait ses connaissances quant aux pratiques des chants terrestres, quant aux chants grégoriens, quant aux chants de chaque peuple de la Terre.
Le repas terminé, ils se dirigèrent vers le lieu du rendez-vous. Sous un immense dôme vert émeraude, une salle était aménagée comme un cirque romain. On les invita à se rapprocher afin d’occuper les places du premier rang. Bientôt de grands personnages magnifiques entrèrent en scène. Sans dire un mot, ils entonnèrent un chant. Une introduction légère. Le maître avait l’impression d’une promenade, une brise légère dans ses cheveux. Le chant s’intensifia. Les compagnons sentirent les points de chaleur dans leurs corps. Ce n’était pas eux qui chantaient mais leurs centres énergétiques vibraient néanmoins. Inconsciemment, comme si leurs corps s’harmonisaient, leurs lèvres s’ouvrirent et un chant d’accompagnement unifia les compagnons avec les chanteurs. Ceux-ci devinrent très lumineux. De plus en plus lumineux comme mille soleils. Le chant montait en puissance. De la lumière émise, émergèrent des images de paysages de grande beauté. Par moment les chants redoublaient d’intensité pour accompagner les mouvements d’un océan sauvage puis, se calmait pour s’endormir dans un panorama de paix. Enfin, le chant ralentit, et reprit le thème du début. C’était la fin de la promenade. La brise s’enfuyait decrescendo. Les chanteurs avaient terminé. Ils adressèrent un grand salut à l’assistance ainsi qu’un sourire de compassion envers les douze compagnons. Lorsqu’ils sortirent du dôme, ils virent leur formateur venir à leur rencontre. « Ce que vous avez appris, c’est ce que vous possédez à l’intérieur de vous. Il y a encore beaucoup à découvrir dans l’art du chant. Mais je n’ai aucune crainte avec vous, vous vous harmonisez parfaitement. Vous êtes prêts pour la journée de demain. Bonne nuit à tous ! »
Ravis par cette représentation, ils regagnèrent leurs quartiers. Chacun vibrait de l’énergie du chant. Personne n’avait sommeil. Chacun avait très envie de partager un chant à deux. C’est ce qu’ils firent. La nuit fut très harmonieuse.
Au matin, chacun se trouva transformé. Dans leur corps, des courants sensibles se diffusaient selon l’intonation de leur voix. Cela leur permettait de distinguer directement les différences entre des paroles douces et bienveillantes et des paroles dures et amères. Lorsqu’ils se dirigèrent vers l’amphithéâtre, le formateur était accompagné d’un personnage tout aussi impressionnant que lui.
« Nous allons, aujourd’hui, joindre aux chants que vous avez pratiqué hier la présence du corps. Lorsque vous percevez la note, vous sentez la chaleur en un point précis de votre corps. Vous allez faire descendre votre conscience dans ce point du corps et vous allez mouvoir ce point de votre corps selon la note. Commençons par un chant très simple ! » L’instructeur du chant lança une phrase simple. Les douze compagnons la répétèrent en pointant mentalement le centre d’énergie activé. En se projetant dans ce centre, ils avaient la possibilité de se mouvoir. La succession du chant était un parcours de promenade comme sur un passage à gué. Lorsqu’ils eurent fini le chant, quelle ne fut pas leur surprise de se retrouver au sommet de la coupole, la plate-forme renversée au-dessus d’eux. L’instructeur de cette danse étrange reprit : « Vous découvrez que l’espace est contenu dans votre corps. Ces exercices ont pour but d’éveiller votre conscience à l’espace. Nous allons continuer par des exercices plus soutenus. Ignorez pour l’instant vos bras et vos jambes. C’est votre corps qui se déplace, pas vos membres. »
Ainsi la matinée se poursuivit par des chants plus complexes. À la fin de la séance de formation, ils avaient appris à voyager par le chant. Ils étaient même à plusieurs reprises sortis de la salle et avaient parcourus de longue distance dans la cité stellaire.
« Quelle est la limite du voyage ? » questionna l’astronome. « La limite est selon les possibilités physiques du chanteur et du danseur. Vous devez pouvoir vous déplacer sur votre globe sans trop de difficultés. Pour des déplacements plus importants, il y a d’autres moyens. »
Se mouvoir en chantant et en faisant danser son corps était une nouveauté qui emballa le cœur des humains. Ils s’amusèrent beaucoup à regagner les restaurants de cette manière. Ils en profitèrent pour s’installer sur la plus haute des terrasses. Les harmoniques y étaient fantastiques.
L’après-midi leur permit de mieux s’entraîner et de mieux s’adapter à cette nouvelle discipline. Leur chant devenait plus clair, leur danse plus concise. Au soir ils en avaient acquis la maîtrise. « Vraiment très doués ! » Les félicita leurs professeurs.
Comme la veille, il y eut un spectacle donné le soir. Des chanteurs et des danseurs. Ceux-ci étaient de grands virtuoses. La représentation était plus artistique que technique. L’important n’était plus les possibilités du chant et de la danse mais le résultat eurythmique qui en était obtenu. Le chant était pathétique, la danse suivait et en consolidait la texture.
Le spectacle terminé, chaque couple regagna sa chambre afin d’expérimenter l’amour par le chant et la danse. Personne ne s’en plaignit. La nuit fut une succession de ballets.
Le troisième matin arriva. Les humains se regroupèrent en échangeant des sourires de connivences quant à leurs nuits. « Que va-t-on nous apprendre aujourd’hui ? Après le chant et la danse, je suis impatiente de découvrir la troisième journée ! » Déclara joyeusement l’initiée aussitôt ralliée par les autres.
Dans l’amphi, les formateurs étaient trois. Les deux premiers et un nouveau. Les humains étaient très heureux de revoir leurs instructeurs et visiblement, la joie était partagée. Le nouvel éducateur leur souhaita la bienvenue et leur annonça : « Maintenant que vous avez acquis le chant et la danse, nous allons vous révéler les couleurs. Selon la note, vous avez appris à relier votre centre énergétique, selon son intensité, vous avez appris à le mouvoir. Maintenant, vous allez assimiler sa lumière et sa couleur. Voyez-vous, les centres d’énergie de vos corps physiques représentent d’une part les liens qui vous relient à votre origine céleste et d’autre part sont les portes par lesquelles circule l’énergie céleste. Par le chant, vous activez ces portes, par la danse vous les rendez opérationnelles. Vous allez maintenant expérimenter la lumière qui en jaillit. Commençons. »
La première note fut lancée, aussitôt reprise et soutenue par les chœurs. Le premier mouvement suivit et les fit tous léviter à un mètre du sol environ. La note augmenta en puissance. Alors, une lumière rouge foncé diffusa dans la salle. Deuxième note, deuxième mouvement, deuxième lumière. Puis, une à une, chaque note et chaque mouvement donnait naissance à une nouvelle lumière, une nouvelle couleur. Lorsque les sept notes furent atteintes, le maître chanteur déploya une phrase musicale plus complexe, le maître danseur le rejoignit d’une danse qui s’ajustait magnifiquement avec le chant. Alors, le maître lumière ouvrit les portes et chaque être humain fut initié à ce nouvel art étrange et créateur. Ils apprirent à conjuguer les couleurs lumineuses jusqu’à obtenir une lumière d’un blanc éclatant. La formation se poursuivit toute la journée. Sans éprouver la moindre fatigue, les humains façonnèrent et affermirent leurs capacités. En fin d’après-midi, ils étaient devenus chanteurs – danseurs – lumières. « Rappelez-vous que vos centres d’énergie représentent les portes par lesquelles vous avez la possibilité de vous reconnecter à vos origines. De la même manière, ces portes s’ouvrent vers votre avenir. Pour naviguer d’une porte à l’autre, vous avez les trois premières clés : le chant, la danse et la lumière. Reposez-vous un moment, plus tard dans la soirée, nous ferons ensemble une expérience transcendantale. »
Les douze humains se retirèrent. Au cours du repas personne ne parla. Ils échangèrent entre eux des notes et découvrirent qu’ils pouvaient communiquer entre eux de cette manière. Ils firent une promenade dansante et entraînante. Chant, chaleur, mouvement et lumière ponctuait chaque pas dans l’espace. Ils regagnèrent l’amphithéâtre plus tard dans la soirée. Les trois compagnons formateurs les attendaient et les accueillirent allègrement. « Les trois clés que nous vous avons enseignées sont fondamentales. Nous allons faire maintenant quelques expériences intéressantes. Grâce à ces trois clés, vous allez pouvoir créer, projeter, matérialiser toutes sortes de visions, représentations, expressions, scènes, histoires, communications. Observez ! »
Le chant était d’une beauté extraordinaire. La danse s’y accordait sublimement. Les lumières qui s’en dégageaient étaient formidables. C’est alors que les trois êtres de lumière flamboyèrent. De leurs mains, des éclairs jaillissaient. Des langues de feu. Des langues qui léchaient amoureusement l’espace jusqu’à en faire surgir des formes étincelantes. D’abord, ce furent des fresques aux couleurs somptueuses issues d’une renaissance cosmique. Ensuite, les images s’épaissirent et donnèrent naissance à des sculptures fantastiques. Les statues s’animèrent à leur tour et donnaient lieu à d’étranges scènes. Jusqu’à montrer aux humains leur propre image.
Lorsque la représentation se termina, le maître lumière leur dit : « Ce que vous avez vu n’est qu’une possibilité de ce que vous pouvez obtenir. Vous aurez à travailler votre art encore un jour ou deux et vous serez prêts. Vous serez navigateurs. »
La petite troupe se retira, le cœur dans les étoiles. La nuit fut lumineuse éclairée par des millions d’étoiles. Pour l’instant, personne ne pensait à être navigateur. Ils avaient tous, gravé dans leurs cœurs, une nouvelle science qui leur ouvrait des portes inconnues dans l’univers. C’est ce qui les touchait le plus. Chant, danse et couleurs. Tout cela allait si bien ensemble ! Ils étaient tous enchantés d’avoir découvert ces dons extraordinaires. Ils regagnèrent tous leurs appartements. Ils allaient mêler l’amour à ces dons étranges.
Le sage
Le sage contemplait le soleil au zénith. Pendant la nuit stellaire, il avait dormi. Durant son sommeil, la fusion de toutes ses parcelles de vie avait poursuivi l’alchimie. Au matin, le sage se sentait un. Tous les infinis, toutes les existences qu’il avait discernés la veille s’étaient rassemblés en un seul être prodigieux. Ce matin-là, il était un, tout simplement. Un dans la plénitude du matin.
Il était attendu. Les autres groupes lui avaient demandé de les suivre. Ils étaient bienveillants avec lui. Il les suivi sans crainte. Comment faire pour communiquer avec ses semblables ? Il allait le découvrir rapidement. D’après ce qu’il avait compris, toutes les créations évoluées qui avaient traversé le premier cycle de la vie allaient se rencontrer. Toutes les créations ? Étaient-ce tous des humains, comme lui, qui étaient arrivés dans ce nouveau plan ? Mille questions agitaient son propre réseau mais pour l’heure, il se fit patient et s’approcha du point de rencontre.
Un géant. Un être de lumière qui semblait un soleil accueillit tous les arrivants. Plus forte que la puissance qui se dégageait de lui était l’amour qui animait ses paroles : « Soyez tous les bienvenus ! Approchez et installez-vous ! Suivez les anges qui vous montrent le chemin. »
Le sage, toujours accompagné des autres groupes, franchit l’entrée de ce qui aurait pu ressembler à un palais surdimensionné. Il y avait des entrées sur des niveaux multiples. Non seulement les groupes comme le sien étaient très nombreux, mais il y en avait d’autres étonnamment différents. Des êtres volants, extrêmement rapides volaient à très hautes altitudes. D’autres êtres sans forme distincte – on aurait dit des ombres – étaient reçus sur d’autres passages. D’autres êtres, encore, que le sage avait pris pour des astres en orbite descendaient du ciel. Il avait l’impression que chacun de ces astres allaient pulvériser le palais. Cependant, bien qu’astronomique, le palais semblait les engloutir un à un. Des courants invisibles, furtifs, se rassemblaient également. Le sage questionna ses groupes compagnons quant à la nature de ces manifestations. On lui répondit que la vie revêtait non seulement diverses formes, mais qu’il y en avait sur différents plans et de substances aussi dissemblables. Le sage avait toujours connu des expériences humaines ; il se demandait quelles étaient les autres applications de la vie.
Dans cet amphithéâtre démesuré, le sage trouva sa place. D’autres groupes de sa substance étaient déjà installés ; à son arrivée, ils l’accueillirent et lui offrirent une place de choix ; en fait, chacun était très bien placé.
L’étrange assemblée commença par les représentants de ce que le sage avait pris pour des astres. Ils représentaient l’âme des étoiles. Ils parlaient ; ce qui aurait eu l’air extraordinaire, sauf que aux premiers mots prononcés, le sage reconnu l’empreinte de ceux qui l’avaient guidés jusqu’à maintenant. « Bienvenue à vous tous, mes enfants. » Vibra dans toutes les cellules, toutes les entités qui formaient le corps du sage. « Vous avez été engendrés et enfantés au cœur même de ma substance et, si vous êtes tous rassemblés en ce lieu, c’est que vous avez atteint le plan de la conscience universelle. J’ai un cadeau pour vous : l’écho de votre création qui est marqué dans chacun de vos composants. J’ai le plaisir de le faire briller pour vous tous. » À ces mots, l’être surnaturel illumina une colonne de lumière. Chacun ressentit l’onde se propager. Le sage eut l’impression d’être tout entier décomposé et coulé sur une surface ondulante. Il réalisa alors qu’il n’était pas maître de son support physique. Que celui-ci lui avait été accordé et que le véritable créateur lui envoyait non pas un avertissement mais une caresse d’amour.
Maintenant, les courants invisibles succédaient aux êtres stellaires. « Bonjour mes fils. » Se répercuta dans la salle comme un éclair qui déchire le ciel. « Je suis l’esprit de vie. J’ai semé vos graines minuscules, je vous ai plantés dans un bon terrain, je vous ai arrosés de tout mon amour. Je vous ai vu grandir, évoluer, vous transformer jusqu’à vous rencontrer en ce lieu. » Cette fois-ci, ce n’était plus le corps physique qui se rappelait mais l’esprit libre qui était secoué. Il semblait au sage que toutes les parcelles de son âme prenaient une couleur et une forme distinctes, comme des pièces d’un puzzle qui venaient d’elle-même de prendre conscience du tableau final qu’elles composaient. Après le corps, l’esprit du sage reconnaissait l’écho de son créateur.
Cela étant, on eut l’impression que tout devint noir et obscur. Comme si les étoiles matricielles et l’esprit constructif s’étaient effacés. En réalité, ils étaient toujours là car le sage, tout comme ses compagnons, les percevaient sans les voir. Les êtres qui avaient pris place n’étaient faits ni de matière ni d’esprit. Mais ils étaient vivants et réels.
Il n’y eu pas de voix, pas de son, pas de bruit. Juste une vibration qui emplit le cœur de tous les humains présents en ce moment. Les larmes coulèrent des yeux du sage. Des larmes de compassion. Tous les groupes humains étaient émus et paralysés par la présence invisible qui était omniprésente. Chacun avait l’impression qu’il recevait à la fois leur mère, leur terre, leur créateur. La voix du troisième groupe stellaire explosa dans leur plexus comme si une main extérieure leur avait planté une oreille en plein cœur, mais sans douleur toutefois.
« Enfin, nous nous retrouvons. Vous et moi. Vous, la vie et ses multiples évolutions dans l’Espace. Enfin nous nous retrouvons. Vous, la multitude et moi l’unité. Vous, la croissance et l’épanouissement de la vie. Enfin nous nous retrouvons. Vous, la Création et moi le Temps. Cet instant de rencontre est béni car je vais m’effacer là où vous allez me transcender. Écoutez ma voix. Écoutez le message que je dois vous transmettre. »
Instantanément, il se passa quelque chose dans l’amphithéâtre colossal. Chaque être vivant voyait voler le courant de ses souvenirs. Furtivement, les humains sentaient leurs racines et leurs existences ressurgir par intermittentes. Mais sans leur laisser le loisir d’apprécier le flux d’émotions, la vois implantée reprit.
« Ne prêtez pas attention à ce qui se passe. Je provoque une onde qui affole toutes vos cellules. Mais l’effet est passager, cela va s’atténuer. Je suis celui qui pèse chaque seconde de votre existence. Je suis celui qui vous donne chaque seconde de votre existence. Je suis le temps, je suis votre temps, je suis le temps universel. »
Il se passa alors quelque chose de surnaturel. Le processus d’évolution et de combinaison qu’avait connu le sage se poursuivit mais d’une manière différente. Les différents groupes humains se réunirent mais ils n’étaient pas seuls. Parmi les corps des humains, les êtres de lumière insufflaient leurs souffles. Le souffle des étoiles, le souffle de l’esprit et le souffle du temps. Leurs sens s’ouvrirent et s’épanouirent. Ils découvrirent alors qu’ils avaient acquis une nouvelle dimension, une nouvelle étape. Ils étaient étoile, ils étaient esprit, ils étaient temps. Ils restèrent un long moment à sentir, à ressentir, à voir, à découvrir leur métamorphose. Car c’était une métamorphose. Ils avaient changé. Le sage percevait qu’il était à la fois homme, groupe, et galaxie. Et non seulement il pouvait passer d’un stade à l’autre librement mais le contact universel n’était jamais rompu. De sorte qu’il pouvait se centrer sur le stade de son choix sans interrompre le courant universel qui animait la vie de l’Univers.
Alors, le sage eut une pensée d’amour pour la Terre de ses origines. Il avait un enseignement à apporter au monde des humains. Un message d’amour. Toutes les différentes parties de son groupe stellaire vibraient avec lui. Il était grand et fort désormais. Il pouvait, alors, passer à l’acte.
Comme s’il ouvrait un atlas, il ouvrit son esprit. Il y découvrit toutes les traces qu’avaient laissées les créateurs. Il parcouru toutes les anciennes cités disparues et revisita toute l’histoire de l’humanité en une fraction de seconde. Il apprit à reconnaître les sceaux énergétiques marqués par les fondateurs.
Il y avait sur Terre, des anciennes portes qui avaient été disposées par les créateurs. Il en connaissait maintenant les emplacements. Comme s’il avait accès à la bibliothèque universelle. Deux pôles apparaissaient de plus haute importance. Deux symboles énergétiques. Il fallait commencer par s’y rendre et de là, commencer l’instruction des hommes. Il aurait besoin d’humains prêts à le suivre, il devait communiquer avec eux et les convoquer.
Le sage se condensa en quatre anges de lumière. Un cinquième messager aurait pour rôle de réactiver les portes de la Terre. Impossible de revenir sur la terre de ses origines en un seul corps. Les énergies qui l’animaient étaient trop condensées et trop fortes mais en se séparant en quatre entités physiques, elles pouvaient se stabiliser tout en offrant aux quatre parties un contact les unes avec les autres. La conscience en était intacte. « Une table à quatre pieds reste une table ! » Pensa le sage. Puis, il se concentra à nouveau et se mit au travail.
Il avait faim, il s’était attablé à une terrasse et s’était attaqué à un repas gastronomique. Il sentait ses papilles se réveiller d’un profond sommeil. Tandis qu’il mangeait, il voyait passer des humains. Il n’était pas sensible à tous. Certains, au contraire, éveillaient en lui un souvenir. En les regardant tous passer, il avait l’impression de feuilleter un album souvenir. C’était très agréable pour lui de revenir dans le monde des humains.
Avant tout, il devait se confondre dans le monde des hommes. Il prit la forme et l’apparence des humains qu’il côtoyait, s’informa des modes de vie actuels. Il se trouva une habitation ainsi qu’une occupation – une fonction sociale comme disaient les habitants actuels de ce monde – puis, commença ses recherches.
Il trouva assez facilement une maison ; elle l’attendait. Il régla les formalités et s’installa. L’intérieur était simple, il n’avait pas besoin de plus. Il y avait un jardin, il mesura les méridiens qui y passaient. Parfait. Il se mit en quête des pierres qui lui étaient nécessaires. Certaines étaient présentes sur son terrain. D’autres manquaient. Il fit quelques excursions dans les parages et les dénicha une par une. Il en ramena certaines aisément. Pour d’autres, il dut construire un chariot. Mais peu importe, il avait le temps requis. Au bout de trois jours, il avait accumulé tous ses matériaux. Il amorça la pierre maîtresse. Cela lui prit toute la nuit. Mais l’alchimie qu’il connaissait lui permit d’en venir à bout. Bientôt le soleil se leva. Sur son petit bout de terrain, un cristal accueillit les premiers rayons de soleil et lança ses premiers feux comme un fils nouveau-né répond à sa mère. Durant la matinée, il disposa les autres pierres. Il fallait finir avant la fin du jour. Avant le coucher du soleil, la construction était terminée. Le soleil disparut à l’horizon ; cependant, il y avait quelque part sur terre un nouvel astre naissant.
C’était une nuit de pleine lune. C’était aussi la raison pour laquelle il devait terminer sa construction. Lorsque la lune fut au zénith, dans la nuit argentée, l’édifice se mit à vibrer doucement. Il vérifia longuement les vibrations. Une fois satisfait, il prit du repos. Le matin, il rassembla ses affaires, boucla son sac et partit. Il avait une longue route à faire. Derrière lui, un étrange témoin de pierre continuait à palpiter subtilement.
Vers midi, il arriva au port. Il loua un bateau et gagna le large. Les vents soufflaient dans la bonne direction, il arriverait à destination avant la nuit. Il l’espérait vivement car la manœuvre était délicate.
Il avait bien calculé sa trajectoire. Il se présenta à la porte au moment convenu. Pour faire simple, il avait noué une grosse corde autour du mât et s’était solidarisé avec elle. Il n’y avait plus qu’à attendre, c’était une question de minutes. Quand la lame de mer se souleva et se lova telle une langue goûteuse autour de son esquif, il lui fit un salut. « Bonjour, ma vieille. Heureux de te revoir depuis si longtemps ! »
Il arriva silencieusement sur le rivage. Il gagna une crique sans faire de bruit. Il accosta et rangea son embarcation discrètement. Le décor n’avait pas changé depuis le temps, juste un peu de poussière. Il se dirigea vers le fond de la crique. Une petite ouverture était dissimulée derrière les racines d’un palétuvier. Il dégagea l’entrée de la grotte et pénétra à l’intérieur. Il y faisait nuit noire. Où était la lampe. Ah ! La voici ! Il y eut une petite lueur qui grandit rapidement. Voilà ! Le tunnel se perdait dans les profondeurs de la terre. Il l’emprunta, le chemin n’était pas trop long, il allait atteindre le premier poste rapidement.
Le passage s’élargit sur une petite salle. Le plafond était délimité par une stèle noire et lisse enchâssée autour de piliers de granite. Il la reconnaissait bien pour l’avoir apporté lui-même il y avait des années de cela. Il se rappelait ce jour-là où, après avoir échappé à la folie des hommes, il s’était réfugié avec sa femme à bord d’une barque. Il avait accosté ce monde, guidé par la voix de celui qui l’avait protégé depuis son enfance. Il avait alors taillé et façonné cette pierre. Puis il y avait gravé un message. Après cela, il avait construit une crypte et avait placé la pierre en son sommet comme un couvercle. Son travail achevé, il était reparti avec son épouse enceinte et avait fini par atteindre une terre hospitalière.
Il retrouvait ses souvenirs malgré les siècles passés. Il avait une autre tâche à accomplir avant de repartir. Il déclencha le mécanisme. La pierre se souleva suffisamment pour le laisser sortir puis, se referma lentement. Comme précédemment, il se mit à examiner les alentours afin de déceler ce dont il avait besoin. Pas n’importe quelle pierre. Il lui fallait trouver celles qui allaient permettre le magnétisme mystérieux. Il ne les chercha pas longtemps car il était attiré par leur rayonnement. La journée lui fut cependant nécessaire afin de rassembler tous ses matériaux. Avec la même précision qu’auparavant, il disposa les pierres autour du monument. À la nuit tombée, son travail était terminé. Il mesura les vibrations de l’ensemble. Parfait. Il interrompit la vibration du site en déplaçant la pierre maîtresse. Il la déposa de côté et la protégea sous des branches et des feuilles.
Il souleva à nouveau la stèle, redescendit le tunnel sombre, récupéra sa barque et repartit d’où il était venu. Il resta quelques minutes au milieu de l’océan dont les eaux commençaient à s’agiter. Au moment où la mer était si forte qu’il allait chavirer, il y eut un bref rayon venant des terres. Une lame se souleva et l’engloutit.
Tableau de Laureline Lechat
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