CONTE DE SEPTEMBRE

Ils se réunirent, inquiets, autour d’une carte effacée.
Le temps pressait, les mots manquaient, la voie semblait impossible.
Mais leur alliance, bien dosée, offrit une nouvelle clarté :
La force, la loi, la vision tressées dans un pacte invisible.

Mais le voyageur n’est pas là, le corps a besoin de la vue ;
Mais le voyageur est absent et le cœur a besoin d’amour ;
Mais le voyageur ne vient pas ; l’esprit a besoin de nouvelles
Mais le voyageur est ailleurs à la poursuite de son âme.

Le voyageur

Le voyageur entendit comme des voix dans les ténèbres. Chacun s’était tu. Le silence emplissait la petite caverne dans laquelle ils s’étaient tous réfugiés. L’air devenait de plus en plus irrespirable à cause de la chaleur ; la lumière était inexistante. Plus personne ne parlait, chacun avait compris qu’ils avaient atteint le terminus.

Depuis le début quand ils s’étaient assis, le voyageur ne disait rien. Il entendait des clapotis de lave. Il n’avait pas besoin de voir. Il sentait à ses pieds le sol se liquéfier lentement. Leur refuge n’était qu’une marmite dans laquelle ils allaient tous périr incessamment. Un piège. Un cul-de-sac. Si les entités qui les avaient suivis jusqu’alors remontaient leur piste, ils n’auraient plus d’échappatoire. Comment garder le moral quand tout est au plus bas ? Et tous ceux que le voyageur avait entraînés avec lui ; comment faire pour leur offrir un miracle ? Le voyageur se répondit en lui-même que les miracles n’arrivent qu’à ceux qui les attendent ; alors, il attendit.

Il prêta une oreille attentive. Rien ? Et pourtant ! Ce clapotis… Un rythme bizarre. Un message ? Des coups irréguliers, aléatoires. Il y avait une fréquence. Comme s’il s’agissait de phrases. Le voyageur sentit une main ferme se refermer sur la sienne. C’était celle du capitaine. Il avait compris. Des chiffres. Un trois puis, un ; puis, quatre, un, cinq, neuf, un silence. À nouveau le message. Toujours répété comme un signal. Un signal … PI ! À la lueur de la dernière torche, il regarda plus attentivement la grotte. Là dans un recoin, une roche plate grossière et circulaire. « Tous sur la pierre ! Formez un cercle, vite ! » Hurla le voyageur comme si c’était l’ultime message qu’il prononçait. Au moment où toutes les mains se refermèrent formant une ronde humaine, Ils sentirent la pierre bouger puis, monter lentement. Au-dessus d’eux, la dalle supérieure s’illumina d’un disque scintillant. Le sol continua à les soulever tel un ascenseur. Ils remontèrent, remontèrent, remontèrent. L’air était moins chaud. La transpiration qui inondait leurs vêtements les refroidissait ; tous se mirent à rire. Ils sentaient qu’ils sortaient de l’enfer. L’ascension s’arrêta. Des étoiles. Ils étaient à l’air libre. Ils firent quelque pas pour sortir du périmètre de l’élévateur. À la clarté des étoiles, ils distinguèrent un espace à herbe grasse. Ils s‘y étendirent tous abattus par la fatigue et s’endormirent dans la fraîcheur hospitalière de la nuit.

Au point du jour, le voyageur était éveillé et contemplait leur nouveau refuge. Ils étaient sur les montagnes. L’air était très frais ce matin-là ; ils devaient être en altitude. Aucun signe, aucune présence, rien qui permettait de comprendre ce qui s’était passé la veille. Comment avaient-ils échappé à l’enfer des entrailles de la terre ? Nulle réponse, nul indice qui aurait pu révéler l’identité des auteurs. Aussi mystérieux que leur arrivée dans ce monde insolite. Apparemment, les responsables, s’il y avait, se cachaient. En tous les cas une chose était sûre : ils étaient épiés et suivis depuis le début. Quel début d’ailleurs ? Leur arrivée sur cette terre ou depuis bien plus longtemps avant de survenir dans ce monde ?

Mais pour l’instant présent, l’heure n’était pas de se demander qui était à l’origine de leur aventure et qui se dissimulait dans les coulisses mais de savoir quelle allaient être leurs décisions et les directions à prendre. Le voyageur convoqua ses camarades et fit un tour de table. Pour le capitaine, et plusieurs membres de l’équipe convergeaient avec lui, il fallait continuer de monter. D’après le paysage ambiant, ils étaient dans les hauteurs et, vu la topologie de l’île, le sommet devait être tout proche. Une minorité aurait voulu retourner en arrière mais le chemin était long et incertain. Le voyageur trancha toutes les alternatives en une seule et unique décision : ils avaient pour objectif le sommet. Non seulement le retour était apparemment impossible mais les dangers rencontrés jusqu’à présent n’avaient pas été complètement éliminés. De plus, leurs provisions étaient, désormais, inexistantes. Impossible de revenir en arrière. Le point de non-retour avait été dépassé. L’urgence était de découvrir les ressources naturelles du lieu afin que chacun soit rassasié. Par équipes sécurisées, on distribua les rôles à chacun. La journée fut ainsi consacrée au réapprovisionnement. Au rendez-vous du soir, les guerrières avaient chassé suffisamment de gibier ; les enfants avaient puisé assez d’eau stockée dans des outres de fortune ; les hommes avaient dressé un camp rudimentaire mais praticable ; le voyageur et le capitaine avaient raisonnablement exploré les environs pour en avoir un aperçu concret et rassurant pour tous.

Au repas du soir, le voyageur communiqua le résultat de ses observations : « Nous sommes tout près du sommet ; tout près. Nous sommes actuellement basés sur le talweg entre l’avant dernier mont et le sommet. Nous l’atteindrons au bout de deux jours de marche ; un jour, peut-être s’il n’y a pas d’incident. Grâce à nos amies, nos provisions sont suffisantes et notre position assurée. Dormons tous ; demain, réveil à l’aube. Départ pour la conquête du sommet de l’Île. »

Personne ne contesta les plans du voyageur. Sans dire un mot, tous préparèrent rapidement leurs affaires et s’endormirent. Personne ne monta la garde cette nuit-là.

Le matin n’était pas encore levé. À son accoutumance, le voyageur était debout depuis longtemps ; sa compagne à ses côtés, il avait décidé l’itinéraire de la journée. Il réveilla le capitaine. Celui-ci, mal réveillé au premier instant, s’était rapidement levé après s’être remémoré l’importance de la quête. Il s’était alors chargé de réveiller les autres tandis que le voyageur partait avec les guerrières pour explorer le terrain.

Il n’avait jamais encore participé à leurs expéditions. Elles étaient à la fois très prudentes et très entreprenantes. Un peu trop, même, aux yeux du voyageur. C’était la deuxième fois qu’il se retrouvait avec elles. La première fois, c’était le jour de son arrivée sur l’île. À présent, c’était pour en sortir. Il pensait à cet instant là que les femmes étaient celles qui l’avaient mis au monde dans cet univers étrange. Étaient-elles celles qui allaient le faire sortir ou mourir ? La coïncidence n’était pas fortuite. En tous les cas, il savait qu’ils devaient forcément découvrir une issue. Dans les ténèbres de la terre, quelqu’un, ou plusieurs êtres, les avaient aidés. D’autres personnages, les entités, avaient cherché à les retenir voire à les anéantir. Il y avait donc, dans cet étrange pays, des aides et des ennemis. Peut-être était-ce les mêmes. Pourquoi chercher à leur nuire et pourquoi chercher à les aider ? À moins que ce soit un apprentissage destiné à ne laisser continuer qu’un certain nombre limité d’hommes. Une initiation ? Mais si c’était cela, pourquoi les doyens de cette terre semblaient ignorer beaucoup de choses ? Peut-être n’en savaient-ils pas plus ? Oui. C’est cela ! Les habitants de cette terre ne savent pas comment en sortir. Pour y parvenir, les embûches sont telles qu’ils sont contraints à y demeurer. Lui, le voyageur et les marins, comme tous ceux qui résidaient ici, étaient venus de l’extérieur. Ils avaient été aidés de l’extérieur. Ce n’est que par l’extérieur que l’on peut sortir de l’intérieur.

« Arrêtez-vous toutes ! » Cria le voyageur. « Retournons chercher les autres. Vite ! »

Sans dire un mot, mais en toute confiance, les guerrières rebroussèrent chemin afin de rejoindre les membres du groupe. Tous étaient prêts à présent. Ils attendaient leur retour.

« Écoutez-moi ! » Leur annonça le voyageur. Préparez-vous et suivez-nous.

Sans dire un mot de contestation, tous suivirent son pas. Ils courraient presque. La dynamique de la marche les avait tous galvanisés. Ils n’étaient plus loin du sommet maintenant. Au rythme de la course, ils l’atteignirent en plein midi. Là, un spectacle insolite s’offrait aux yeux de la troupe. Le sommet était revêtu d’un paysage majestueux. Un lac d’un bleu profond, très profond ; indigo. Au centre de celui-ci, une cascade déversait ses eaux bruyantes et tumultueuses. Son origine se perdait dans les nuages.

« Ce lac est magnifique ! Un lac royal ! » S’extasia le capitaine.

« Magnifique ? » Interrogea le voyageur. « Qu’y a-t-il de magnifique ? Nous sommes au sommet de l’île ! D’où vient l’eau de cette cascade ? Ne voyez-vous pas que nous sommes joués ? Allez au centre du lac et goûtez l’eau ! Je suis certain et prêt à parier qu’elle a un goût salé. Allez-y ! »

Trois des meilleurs nageurs plongèrent. Le lac n’était pas très étendu. Ils s’approchèrent de la cascade et repartirent aussitôt. Ils regagnèrent la rive. « L’eau est légèrement salée ! Comment le savais-tu ? »

« J’avais compris que ce monde est un monde fermé et creux. L’eau qui arrive par cette chute provient tout droit de la mer qui se trouve au pôle opposé. Ainsi est le cycle de l’eau dans ce monde hallucinant ! Elle provient tout droit de la mer intérieure, s’engouffre dans la terre, aliment les ruisseaux et retourne à elle-même. Nous avons été joués ! Il n’y a aucune issue dans ce monde, m’entendez-vous ? Aucune ! Aucune à l’intérieur de ce monde ! En revanche, nous avons été testés par d’autres créatures. J’ignore pour quelle raison mais, une chose est sûre, elles nous ont aidés parce que nous avons accomplis une mission. Et si ce que je devine est vrai, il y a parmi nous des personnes qui ont déjà été en contact avec ces créatures. Les enfants ! Comment ont-ils eu accès à leurs expériences ? Qui les a enseignés ? Qui est à l’origine de la construction de leur demeure ? »

Le jeune garçon et la fille brune s’étaient rapprochés du voyageur. « Nous ne le savons pas. Nous avons la permission d’expérimenter tout ce que nous voulons. Nous découvrons en nous-mêmes au fur et à mesure que nous grandissons. Il n’y a pas de professeur. Nous recevons notre enseignement directement dans notre conscience. Ce que je peux dire, personnellement, c’est qu’après chaque instruction, mon corps est épuisé et j’ai besoin de beaucoup de repos. Il nous arrive de dormir très longtemps. Généralement, à notre réveil, notre corps et notre esprit sont empreints de l’éducation et nous n’avons plus qu’à expérimenter notre nouvel acquis. » La fille brune acquiesça. C’était semblable pour elle et pour tous les autres enfants.

Le voyageur réfléchissait : « Un contact. Un contact émis depuis l’extérieur et capté directement par les enfants. S’il y a émetteur, il y a récepteur. Des hommes et des femmes vivent en autarcie dans ce monde, des êtres vivants communiquent avec eux depuis l’extérieur. Mais une fois entré, on ne sort plus. Une sorte de bouteille de Klein mais à sens unique. La cascade ! Elle pourrait être creuse. Qu’est-ce que nous ont transmis les hommes après avoir consulté la stèle ? Celui qui est entré par l’eau sortira par l’eau, l’eau est l’infini du monde. Écoutez moi tous ! Au point où nous en sommes, nous pouvons encore, une fois de plus, tenter une expérience. Fabriquons un nouveau radeau et allons explorer cette cascade. Il faudra tresser de longues cordes solides pour notre sécurité afin de ne pas périr noyés. Les femmes savent faire cela. Les hommes s’occuperont de notre embarcation selon les instructions du capitaine. Avec les enfants, je vais faire le tour du lac.

Le lac paraissait assez grand cependant lorsqu’ils en firent le tour en quatre heures de marche. Ce qui leur permirent d’estimer la circonférence à une vingtaine de kilomètres environ ce qui lui donnait un diamètre de huit kilomètres approximatifs donc un rayon de quatre kilomètres. Le trajet serait relativement court. Les bords du lac semblaient paisibles. Nul danger apparent. Ils contournèrent le lac sans problème et à bonne allure.

À leur retour, le voyageur fit une remarque. « Avez-vous observé que les entités ne s’étaient pas plus présentées depuis que nous avons quitté les cavernes ? »

Le doyen lui expliqua : « Il n’y a pas d’entité. Elles n’ont jamais existé. Ce que nous avons vu, ce sont nos peurs et nos tourments. Elles ont agi comme un miroir. Un miroir dangereux, toutefois. Il est extrêmement difficile de vaincre ses angoisses. Sans protection, nous pouvons y succomber. En revanche si l’on est deux ou plusieurs, il est plus facile d’affronter les craintes de l’autre afin que l’autre soit plus fort et qu’il nous rende la pareille afin qu’à notre tour nous soyons nous-mêmes encore plus fort et ainsi de suite. C’est ainsi que nous les avons vaincues. C’est ainsi que nous les avons renvoyées au néant. C’est ainsi que nous sommes tous devenus plus forts. »

Le voyageur acquiesça. Lui-même, lorsque la situation était désespérée dans le cœur du volcan, avait vaincu la peur de la mort. Il avait misé sa foi dans l’attente d’un miracle et le miracle avait eu lieu. La vie avait vaincu la mort. Ils avaient triomphé de la montagne et avaient atteint son sommet. À présent, il n’y avait rien d’autre à faire que franchir la dernière porte. Mais il fallait, néanmoins, prendre des précautions. L’habileté des femmes à tresser les cordes serait l’une de leurs meilleures armes. La science du capitaine leur offrait une embarcation prévue sur mesure pour ce dernier voyage : une sorte de coque ovoïde et lestée en un point minimal en son centre. Des anneaux solides avaient été placés sur le pourtour afin que chacun puisse s’y encorder. La force du courant sur le lac était centrifuge mais pas trop prononcée. Ils purent naviguer en spirale concentrique. Cela leur prenait, certes, plus de temps mais c’était réalisable. Mais au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, les eaux s’agitaient de plus en plus. Enfin, au moment où le capitaine ne pensait plus pouvoir avancer davantage, ils aboutissaient à leur destination finale. « Sentez-vous cet air iodé ? C’est l’air de la mer » Hurla le capitaine. La coquille qui leur servait de véhicule fut ballottée par les flots. Par bonheur, le lest remplissait bien sa fonction et les empêcha de chavirer. Les liens solides maintenaient l’équipage accroché à son bateau. Bientôt, le mouvement changea, ils furent pris dans un tourbillon très puissant. « Nous sommes dans la cascade, maintenant ! Elle était donc bel et bien creuse. C’est notre tunnel vers la sortie. Accrochez-vous le plus possible, nous sommes au bout de la piste. » Ordonna le voyageur. Chacun renforça son attache. Grâce à son contrepoids, entraîné par le tourbillon fantastique, leur coque les maintint au contact de l’air emprisonné au cœur de la trombe. Le mouvement s’accéléra et s’accéléra encore. Les cordes ne leur servaient plus à rien désormais tellement la force centrifuge les plaquait au fond de la coque. Ils avaient l’impression qu’ils allaient traverser la paroi de part en part.

Lumière. Comme une étincelle au début. Difficile à discerner. Mais bientôt, elle grandit et devint de plus en plus brillante. La lumière du jour !

« Accrochez-vous ! » Hurla le voyageur. La nacelle fut tournée et retournée dans tous les sens puis, soudainement émergea au beau milieu d’une mer calme et paisible.

« Où sommes-nous ? Dedans ou dehors ? » Questionna le capitaine. « La boussole, vite ! ». Il sortit le précieux instrument de sa poche. Pour faire la terrible constatation qu’avait pressentie le voyageur. « Soleil au nord ! Nous sommes revenus au point de départ ! C’est un véritable cauchemar ! » Se lamenta le capitaine. Il s’affaissa au fond de la coque. Consterné et éprouvé par tous les récents évènements.

« Celui qui entre par l’eau sort par l’eau ? Ce n’est pas très au point ! » Constata le voyageur non sans humour. Pourtant, il n’avait pas l’air consterné comme les autres. Il était confiant. Il avait appris à attendre les miracles ; c’était le trésor le plus précieux qu’il avait découvert.

Le vent était doux et régulier, ils rejoignirent l’île en fin d’après-midi. « Et maintenant ? » Demanda le capitaine assommé par leur déconvenue.

« Maintenant que nous sommes devenus forts, nous allons sortir d’ici ! » Lui répondit le voyageur.

« Sortir ? » Répliqua le capitaine. « Mais tu vois bien que nous sommes condamnés à errer sans espoir de retour ! »

« Je ne suis pas d’accord avec toi, capitaine. La sortie existe mais il faut la chercher ailleurs. J’ai mon idée maintenant. »

Le voyageur, après avoir débarqué, prit la main de sa compagne et regagna sa hutte. Il lui fallait se reposer maintenant.

Le conquérant

Le conquérant sentit des effluves. Une odeur iodée. La mer. La nacelle survolait un paysage de plaines depuis le matin. Les fragrances qu’avait captées le conquérant lui donnaient raison. Une bande d’eau infinie était apparue à l’horizon. Des falaises abruptes plongeaient sous les vagues. La nacelle les survola brièvement puis, gagna la haute mer.

Ils n’étaient plus que quatre dans la nacelle. Quatre en plus de la princesse. C’est elle-même qui avait pris le commandement de la barge. Le chef et sa tribu étaient restés dans la cité. Il leur avait promis l’éclaircissement sur la tâche demandée. C’est sa fille qui la leur révèlerait une fois arrivés sur le site.

À présent, ils étaient très loin des côtes. « Voilà ! C’est ici ! » Leur annonça la princesse. La nacelle descendit doucement vers la surface de l’océan. Puis, après un calcul de navigation effectué par la princesse, la nacelle se cabra. La mer s’ouvrit ou plutôt s’inversa. D’abord la surface de l’eau leur sembla se dresser à la verticale puis, ils se sentirent tourner comme dans une vrille. Enfin la mer se referma sur eux comme une porte et ils se retrouvèrent dans un espace sous la mer.

« Cet espace nous sert à relier la Terre à notre monde ! » Annonça la princesse aux quatre terriens. C’est une sorte de tunnel qui apparaît de l’extérieur comme un espace creux. De plus, la courbure du tunnel tend à vous faire apparaître cet espace comme une petite planète. En réalité, c’est une sphère intérieure. Si vous montiez tout droit à partir de l’endroit où vous vous trouvez, vous atteindriez le côté opposé de la sphère. Pour atténuer l’effet tunnel des gravitations opposées des deux mondes auxquels nous sommes reliés, nous avons créé une île que nous avons immergée dans cet espace ; c’est-à-dire que l’île est beaucoup plus étendue qu’elle n’y parait. Et pour limiter les phénomènes atmosphériques tels les tempêtes, les cyclones et les ouragans qui seraient inévitables, nous avons aménagés une révolution entre le sommet de l’île et le pôle opposé dans la mer. Par phase, s’y déroulent des ouragans contrôlés mais nécessaires. »

Les quatre terriens étaient admiratifs devant la démonstration de la science de leurs hôtes. Et quelle puissance ! L’homme de science était avide de questions ; la princesse répondait patiemment à chacune d’elles. Pour finir, le conquérant lui demanda, à nouveau, quelle était la signification de sa tâche et celle de ses compagnons.

« Nous avons un problème ! Nous pouvons ouvrir à volonté les portes de cet entre mondes. En revanche, une fois à l’intérieur, il nous est impossible d’en sortir. Nous avons fait des essais très nombreux, nos meilleurs savants s’y sont attelés. Nous n’avons pas réussis. Bien sûr, nous pouvons intervenir de l’extérieur. Mais pas de l’intérieur. Ce que nous vous demandons, c’est de nous aider. Votre science est peut-être plus rudimentaire que la nôtre mais votre civilisation est très riche, très diverse et très adaptative. C’est pourquoi nous avons demandé un échantillon des grandes races terrestres. Vous ! Voilà. Maintenant vous avez la réponse que vous attendiez de nous. Et la question qui va avec : pouvez-vous nous aider ? »

Le conquérant fit un signe rapide à ses compagnons : chacun, par retour de signe, accorda au conquérant sa volonté de continuer l’initiation et son désir d’aider leurs hôtes.

« C’est entendu ! Nous commençons dès à présent notre mission. J’ai les pleins commandements pour agir à ma guise je suppose ? » Questionna le conquérant.

« Entièrement ! Pour cela, je vais vous faire visiter votre terrain. »

Les dimensions de l’île semblaient infinies. Pourtant celles-ci étaient bel et bien limitées. La courbure surnaturelle prolongeait la mer au-delà de l’infini ; c’est-à-dire au-dessus de l’horizon. L’effet en était saisissant. Un observateur qui n’aurait pas été au courant aurait cru apercevoir une mer univers. La montagne, un autre défi à la nature. Un sommet apparemment peu élevé mais qui semblait monter sans cesse vers la cime. Un sommet hyperbolique. Un monde créé par un Dieu mathématicien qui aurait poussé les lois mathémagiques à l’extrême.

« Comment comptes-tu accomplir ta tâche, conquérant ? » Lui demanda la princesse.

« Pour cela, il faut construire une société stable dans l’île. L’expérience peut prendre du temps. Nous allons utiliser le temps. Nous allons mettre en place une société autonome. Mes amis vont m’être d’un grand appui. L’écologiste va travailler pour l’équilibre géo planétaire de l’île. Le scientifique devra concevoir les outils et la technologie que l’on peut produire sur l’île. Le commandant devra constituer une élite de guerriers qui seront les défenseurs et les chasseurs. De mon côté je vais devoir construire le pont entre cette enclave de la Terre et votre monde évolué. Tu devras rester avec moi afin que nous puissions, à nous deux, aller d’un monde à l’autre. L’un voyagera, l’autre le fera revenir. Écoutez-moi tous ! Chacun à son poste. Étudiez votre tâche de la meilleure des façons. Retrouvons-nous demain pour faire le point de notre situation. »

Ainsi fut décidée la méthodologie. Chacun partit étudier son terrain.

L’écologiste se mit rapidement au travail. Elle étudia quelle devait être la proportion mer/terre ; quel équilibre écologique devait régner sous la mer et sur la terre ; quel cycle régulariserait la vie.

Le scientifique chercha à modeler l’enveloppe de ce monde afin de permettre le passage dans les deux sens. À première vue, c’était impossible. Pourtant il devait trouver le moyen même s’il s’agissait de passer par le chas d’une aiguille !

Le commandant était une femme. Elle décida donc d’entraîner des femmes pour assurer la sécurité et l’intendance de la société. Quel serait leur équipement, quelles seraient leurs armes.

Le conquérant, assisté de sa princesse, restait à l’extérieur. Ils observaient le déroulement des opérations. Il pensait à la table d’émeraude. Cet instrument surpuissant qui permettait d’atteindre les mondes. Pourquoi ne pouvait-il pas être utilisé dans ce cas ? La princesse lui répondit : « La table d’émeraude est trop puissante. L’employer à l’intérieur de ce monde l’anéantirait, comprends-tu mon bien aimé ? Ce serait, je suppose, comme si toute la puissance de Dieu se condensait sur Terre. Cela formerait le plus gigantesque des trous noirs qui aspirerait l’Univers tout entier dans son infinité. »

Le conquérant saisit la balle au bond : « À moins que nous ne soyons, déjà, dans ce trou noir divin ! Le Big Bang créateur pourrait, aussi bien, être le glas de Dieu qui annonce la fin du monde. Quoi qu’il en soit, ce qui est important c’est que c’est une seule et unique impulsion qui a créé le devenir de l’Univers. C’est peut-être la clef. Une seule impulsion doit créer le passage et le retour. Comme un écho. Ce qui permet le passage, permet le retour comme une sorte d’écho. Comment s’adresse-t-on à nos compagnons ? »

« Tu envoies des ondes par l’eau. L’eau permet de communiquer entre les mondes. Tu peux émettre vers tes compagnons et ceux-ci peuvent te répondre. C’est par ce moyen, et c’est le seul, qu’ils peuvent te demander de les faire revenir. »

« Comment ça marche, exactement ? » Le conquérant était curieux de connaître le mécanisme de ce procédé.

« De l’endroit où nous sommes, si tu veux envoyer un message, tu charges l’eau qui est à la frontière du monde. Cette eau, chargée, va se diluer et se répandre comme une onde dans les eaux du monde intérieur. Tes compagnons vont absorber de l’eau pour leurs cycles de vie. Lorsque l’eau se sera à son tour diluée dans leurs corps, ils entendront alors ton message. »

« Et pour y répondre ? » répondit le conquérant du tac au tac.

« De la même manière, ils doivent se concentrer et conscientiser leurs demandes. Ce faisant, ils vont charger l’eau de leurs corps de leur propre message. Par leurs cycles de vie, ils vont restituer de l’eau qui va, à son tour, se diluer dans les eaux internes. Il existe un cycle de l’eau planétaire dans ce monde interne. L’eau interne communique avec l’eau externe comme une sorte de ruban de Moebius ou une bouteille de Klein ou encore une surface de Boy, si tu préfères. Lorsque l’eau atteint l’extérieur, tu n’as plus qu’à la recueillir et récupérer ton message. Des milliers de messages différents peuvent transiter indépendamment par l’eau. C’est ainsi que fonctionnent les prières. »

Le conquérant observa la princesse. Si belle à l’extérieur comme à l’intérieur. Elle démontrait par elle-même le miracle du cycle de l’amour.

« Fort bien. » Dit celui-ci. « J’ai l’intuition que nous avons la solution. »

Ravie, la princesse l’embrassa passionnément.

Le maître

Le maître vit des lumières. Dans la nuit de l’espace, une lueur grandissait progressivement. Ce n’était pas une étoile. L’objet grandissait trop vite. Il était donc beaucoup plus petit et tout proche. Un phare ? Interrogés, les quatre vieillards répondirent qu’ils n’en savaient rien.

« Regardez les cristaux ! » Lança la magicienne. Tous accoururent pour remarquer le nouvel arrangement des pierres. Celles-ci flottaient, alignées, dans l’espace. Des rayons convergeaient vers le centre et créaient une petite sphère très brillante.

Par les hublots, l’objet grossissait toujours. On commençait maintenant à apercevoir le détail des constructions. L’ensemble ressemblait à la fois à une ville, une cathédrale, une sculpture fantastique.

« Bravo ! Vous avez réussi ! » S’exclamèrent en chœur les quatre vieillards. « Vous êtes de grands navigateurs ! »

« Navigateurs ? Mais quel est le rôle des navigateurs ? » Questionna la jeune femme médecin.

« Les navigateurs relient les mondes. Il existe des portes, il existe des tunnels, il existe des raccourcis. Cependant, seul un navigateur initié peut les emprunter. Pour certains passages, un seul navigateur suffit. Pour des passages plus importants comme celui-ci, il faut le concours de plusieurs. Je sais que plus le nombre de navigateurs est grand et plus les inters relations entre eux provoquent un don de passage plus important. D’après l’expérience qu’ont acquise nos ancêtres, le nombre de douze navigateurs apporte une propriété remarquablement stable et puissante ; capable de relier les deux extrémités de l’Univers. » Le vieillard avait les yeux humectés par les larmes du souvenir.

« Regardez cela ! » Tous les grands hublots s’étaient ouverts permettant aux navigateurs d’observer un spectacle imposant. Une ville flottait dans l’espace. Une ruche.

Le vaisseau fit son approche. Des bras titanesque issus de la ville céleste se déployèrent pour accueillir les arrivants. Le vaisseau s’ancra ; les bras se refermèrent ; ils étaient arrivés à destination.

« Je vois que nous sommes attendus. » Dit le maître en observant les hublots de communication.

« Attendez ! » Intervint l’ermite. « Jusqu’à présent nous avons été contactés par des êtres de lumière qui sont venus vers nous dans un but très précis. Ils nous ont fait traverser la barrière des mondes ainsi que la barrière du temps. Ils ne sont pas restés avec nous. Ils nous ont confiés à ces quatre vieillards à qui nous ressemblions, pour la plupart d’entre nous, avant d’accomplir ce voyage. Mais ces êtres de lumière ne sont plus là. Comme s’ils nous avaient donné carte blanche alors qu’ils sont venus nous trouver pour éveiller notre planète. S’ils n’ont été qu’intermédiaires, nous devrions, alors, rencontrer les véritables responsables de notre mission. Je suis prête et dévouée à celle-ci, mais je désire rencontrer les initiateurs de notre fonction. »

« Je crois que tu vas être satisfaite, mon amie. » Lui répondit le maître. « Regarde devant toi ! »

Par le hublot principal, ils distinguèrent une vaste plate-forme. Debout sur celle-ci, en retrait du point d’arrivée, douze personnages attendaient. Le vaisseau, lentement, mais avec une précision d’horloge se posa sur le sol sans un bruit. Le vaisseau s’ouvrit, le maître et ses compagnons étaient arrivés à destination.

« Bienvenus à vous tous, navigateurs ! » Annonça une voix très forte. « Ce premier voyage initiatique s’est déroulé parfaitement. Vous êtes tous très doués. Suivez-nous, nous allons maintenant entreprendre les voyages infinis. »

« Qui êtes-vous ? » questionna le maître. « Pouvez-vous nous expliquer qui vous êtes et ce que vous attendez de nous ? »

« Suivez-nous ! » Répéta imperturbablement le haut personnage sans une trace d’agacement dans sa voix. Plutôt de la compassion. Comme un père qui s’adresserait avec amour à son fils un peu trop impétueux.

Leurs pas étaient mal assurés. Il y avait une pesanteur semblable à celle de la terre mais, ce qui était déroutant et qui leur donnait le vertige, c’était que de nombreux couloirs partaient dans tous les sens et qu’ils voyaient des gens marcher inclinés, à la verticale, à l’envers. Lorsqu’ils atteignirent un carrefour, ils ne savaient plus s’ils allaient tomber vers le bas ou vers le haut.

« Fixez-vous uniquement là où vont vos pas ! Ne regardez pas les autres couloirs tant que vous n’y serez pas habitués. Cela peut vous occasionner des troubles de l’équilibre. » Leur conseilla l’un des personnages.

« Il a raison. » Intervint le médecin. « C’est comme le vertige et l’appel du vide. Tout comme il ne faut pas regarder en bas dans ce cas, il faut que nous nous concentrions sur nos pas. »

Ainsi, d’une marche un peu plus assurée, ils arrivèrent dans une vaste salle de réunion où ils furent invités à s’asseoir. Les sièges étaient munis de ceintures ; on leur demanda de les ajuster à leur taille et de les verrouiller. Lorsque tous furent installés, un phénomène spectaculaire commença. Les douze hauts personnages fusionnèrent en un seul puis, ce dernier s’amplifia jusqu’à remplir toute la salle. Les sièges qu’occupaient les compagnons se déplacèrent pour s’organiser dans l’espace de la salle selon une figure polyédrique.

Une voix puissante se fit entendre : « L’espace, le temps, la vie, le cycle de Dieu ! » Comment le cycle se déroule-t-il ? Par un phénomène de création. » Des formes lumineuses surgirent du centre de la pièce dans une explosion. « La création produit l’espace, le temps, la vie. L’instant de création est unique dans le cycle. Aussi grand qu’est l’univers et aussi longtemps que dure le temps, la vie se développe dans une étroite collaboration : la vie est le temps ; le temps est l’espace ; l’espace est la vie. Ces trois piliers de l’univers sont liés les uns aux autres et chacun n’existe que parce que les deux autres existent. L’énergie fabuleuse de la création provoque un écho. Cet écho va de l’extrémité de l’espace et de l’extrémité du temps vers la vie pour initier le deuxième cycle. La vie s’organise. La fusion de la vie, de l’espace et du temps devient consciente. L’homme évolue et se transforme et va vivre dans une nouvelle dimension. Vous atteignez, aujourd’hui, la fin du premier cycle. Votre destinée est de recevoir l’écho de la création qui va ouvrir votre cœur et l’espace et le temps. Ceux qui atteignent ce stade sont appelés navigateurs en souvenir des grandes découvertes de votre passé. Pour cela, il faut un apprentissage que vous avez commencé tous depuis votre enfance. Depuis les premiers instants de votre propre conception où vous n’étiez que fœtus, vous avez ressenti l’écho. L’écho a empreint vos premières cellules, votre premier sang. Vous avez grandis et, tout au long de votre vie, vous vous êtes retrouvés parce que vous avez ressentis les uns envers les autres le même écho secret qui anime votre corps de chair. Lorsque nous avons pris contact avec vous, sans vous en rendre compte, toutes vos cellules nous ont reconnus et ont commencé à se transformer. C’est pourquoi, très vite, nous vous avons endormis et déposés dans une aire de repos. La transmutation de vos cellules s’est rapidement propagée et vous a redonné les corps jeunes qui sont, tout simplement, vos véritables corps qui se sont réveillés. Votre premier voyage n’était qu’une simple vérification. Vous avez vraiment piloté le vaisseau par vous-mêmes. À présent, nous allons réveiller en vous le pouvoir de replier l’espace, le temps et votre propre vie. J’ai bien dit réveiller et non pas apprendre. »

Le maître, ainsi que ses compagnons, avait ressenti le souvenir dans son corps. Il avait compris ce qu’était l’écho.

Le sage

Le sage goûta le suc de l’univers. Cette sensation aurait pu, dans un autre monde, être discutée. Mais, ici, elle possédait un nouveau sens.

Et puisque de nombreux pas dans de nombreuses directions leur étaient offerts, les douze sages décidèrent de se promener afin d’assurer leurs pas.

Pour lui, c’était, encore une fois, une nouvelle naissance. Quitter un monde pour un autre ; évoluer dans une nouvelle dimension ; il n’y était pas habitué : il s’y était préparé depuis le début. Mais surtout, malgré tous ces changements, tous ces reniements, toutes ces révolutions par rapport à ce qu’il avait connu à chaque étape, il restait sereinement confiant. « La sagesse se construit dans l’équilibre entre l’esprit et les expériences acquises » pensait le sage. « Et même si l’homme failli dans l’épreuve, ce n’est pas l’épreuve qui vit mais l’homme qui la traverse. Il n’y a pas d’échec. Seuls les doutes et les incertitudes qui font prendre un autre chemin. Et si le temps doit se prolonger pour acquérir de nouvelles forces, c’est que le temps est nécessaire. Ce n’est qu’une question de choix. »

Le sage entra en communication avec les onze autres piliers qui formaient sa nouvelle structure. « Avez-vous un enseignement particulier ? Y a-t-il, à cette étape, une nouvelle initiation ? » Le sage attendit la réponse. Finalement, l’un des leurs prit la parole : « Enseignement ? C’est ce que, au contraire, nous attendions de toi ! Nous faisons partie d’une tribu de douze membres qui depuis des millénaires se rassemble. À chaque mort de l’un d’entre nous, nous mourons tous les uns après les autres. Longtemps après, nous nous retrouvons. Nous formons un clan indissociable. Lorsque tu es mort, tu étais le dernier représentant. Nous t’attendions. Nous avons les uns après les autres traversé les mondes, découvert l’évolution de l’homme nouveau. Nous t’avons tous observé. Nous attendions ta venue pour comprendre et entreprendre notre nouvelle tâche. Maintenant que tu es avec nous, tu n’es plus le sage, nous sommes une tribu. Nous n’avons rien à t’apprendre de plus. Nous avons tous à apprendre nous-mêmes. »

Le sage regardait ses compagnons. Il se souvenait maintenant. Il reconnaissait chacun de ses partenaires. Il se remémorait les combats accomplis avec l’un et l’autre de ses compagnons. Il ressentait ses amours passionnels avec ses compagnes. Il retrouvait dans tous les sens de son corps ce qu’il avait goûté parmi des milliers d’existences. Ils échangèrent tous un regard plongeant et révélateur : ils étaient tous réveillés. Leurs consciences étaient devenues une seule et même conscience.

Ils n’avaient plus rien à apprendre. Ils apprenaient eux-mêmes. Les douze sages étaient éveillés.

« Qu’avons-nous à accomplir désormais ? Avons-nous un guide ? » Dit l’un des douze sages. « Guide ? Réponse ? Accompagnement ? Nous n’en avons plus besoin ! Avez-vous remarqué notre nouvelle condition ? Nous sommes éveillés. Nous sommes en harmonie. Nous ne sommes plus des humains. Nous sommes plus qu’humains. Nous sommes conscients et nous décidons aujourd’hui, nous-mêmes, notre destinée, la destinée de l’humanité ! »

« Que veux-tu dire par là ? Sommes-nous des dieux ? » Intervint l’un des sages.

« Nous ne sommes pas Dieu. Nous ne sommes d’ailleurs pas plus avancés devant Dieu qu’auparavant. Autant essayer de raccourcir l’infini de quelques mètres, kilomètres ou années-lumière. En revanche, nous avons acquis une maturité, un stade d’adulte. Nous avons compris une chose : nous sommes éveillés et nous sommes plus proches de Dieu dans le sens que nous ressentons son empreinte en nous. Nous avons été initiés et nous sommes plus proches de Dieu. L’infini à parcourir s’est transformé en zéro distance. Et pourtant nous en sommes tellement éloignés que l’infinité de temps nécessaire pour s’en rapprocher nous est inaccessible. Cependant, nous avons un discernement car nous connaissons nos faiblesses. Également un discernement quant à nos forces. Nous avons acquis un stade supérieur merveilleux. Dieu est partout. Il est en nous comme nous sommes en lui. Nous avons cet enseignement à partager. Notre rôle, désormais, est d’apporter notre expérience à ceux que nous avons laissés dernière nous : nos semblables. C’est pour cela qu’il n’y a plus de guide, plus d’accompagnateur, plus d’initiateur. Ils n’ont plus rien à nous apprendre. C’est à nous de faire perdurer cet enseignement. C’est à nous que revient le rôle d’enseignant. À présent, nous allons retourner sur la terre et choisir des personnes que nous allons initier et qui en initieront d’autres. Nous, les douze plus qu’humains, nous allons entrer en communication avec douze terriens. Nous les initierons pour que chacun en initie d’autres jusqu’à ce que tous aient reçu l’enseignement. » Les douze sages étaient d’un commun accord. La prochaine mission serait de trouver un terrain favorable sur l’ancienne Terre.

Les paroles inter échangées, tous se réunirent pour méditer et ressentir leurs forces à cheval sur les deux mondes.

« Nous allons nous disperser à la surface de la terre. Nous allons commencer à chercher les douze personnes avec lesquelles nous allons commencer l’enseignement pour tous les peuples de la Terre. »

« Comment ferons-nous pour déceler les personnes suffisamment prêtes ? » Interrogea l’une des douze parties.

« Nous allons leur envoyer des signaux. Pas des signaux radio ou de quelle technologie que ce soit. Des signaux cognitifs. Seuls ceux qui réalisent des travaux de recherches spirituels ou ceux qui sont prédestinés à la communication extra sensorielle entendront notre message. Ce message sera un rendez-vous. Lorsqu’il aura été capté, nous irons à leur rencontre. »

Il en fut décidé ainsi. Les douze se concentrèrent et envoyèrent un message d’amour. Ce message était un message univers ; il contenait en soi toutes les réponses à toutes les questions ; il contenait en soi l’infini de la connaissance ; il était une conscience.

« En attendant, qu’allons-nous faire ? » se demanda l’une des parties. « En attendant, nous allons nous préparer à les accueillir ! »

Les sages se mirent donc en quête afin de se mettre en relation avec les autres membres de l’Univers. Ce qui n’était pas difficile puisqu’ils étaient autour d’eux depuis leur naissance dans ce nouveau monde.

Un groupe, comme le sien, était à proximité. D’allure très agréable. D’ailleurs, à leur approche, il les accueillit d’un million de sourires. « Bonjour à toi, homme nouveau, et bienvenue dans ton nouveau cycle de vie. »

« C’est exactement cela ! » Dirent les sages.


Il était à nouveau animé. Il aimait cela. Se replonger à nouveau dans le monde des hommes. Il était déjà auparavant intervenu dans la communauté des humains. Mais, à chaque fois, cela avait été provoqué par son essence car il était le messager de l’architecte de l’Univers. Mais cette fois-ci, c’était différent. Des évènements humains avaient provoqué sa nouvelle existence matérielle.

D’abord, revêtir une enveloppe matérielle. Son réveil devait être approprié. Où allait-il intervenir cette fois ? Dans un lointain passé, il avait ouvert et refermé une mer ; dans un autre passé, il avait assisté et protégé un être qui aimait trop l’humanité jusqu’à lui donner sa vie ; une autre fois, il avait été enchanteur dans un pays peuplé de rois, de chevaliers, de paysans.

Son corps flottait très haut au-dessus du sol. Il était encore très dilué dans l’air. Il survolait les montagnes les plus hautes du monde. Le froid lui permis de se densifier. Il commençait petit à petit à devenir observable de manière infinitésimale. Il se dirigea alors vers les mers les plus profondes. Il plongea au cœur le plus fort de l’océan. L’eau glaciale continua à le densifier. Il poursuivit sa descente jusqu’aux volcans des fosses marines et pénétra dans le feu de la terre en fusion.

À ce moment-là, il se propagea. Son corps éthérique s’amplifia et commença à se diluer dans toute la substance de la lave. Au bout d’un temps, son corps avait revêtu entièrement le manteau interne de la Terre. Il se mit, alors, en relation avec le noyau comme il l’avait fait à chaque fois. Il éprouvait beaucoup de plaisir à le retrouver. Lorsque le contact fut établi, la Terre tout entière s’illumina. Il ne restait plus qu’à rechercher ceux qui avaient des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cœur pour aimer. Facile.

Il n’eut pas beaucoup de temps à attendre. Ce ne fut pas vraiment un embrasement, mais il discerna distinctement les premiers échos. Il pouvait se mettre au travail immédiatement. Il se vêtit d’un corps et d’un vêtement bleu puis, il regagna la surface de la terre. D’abord, marcher pieds nus dans l’herbe, regarder les étoiles et attendre le lever du soleil. Pour rien au monde il n’aurait échangé cette joie.

Redevenu humain, en apparence, il se dirigea vers la ville.

Tableau de Laureline Lechat

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