
Quand le soir couvre son domaine de son ombre sur les collines,
Les maîtres aiment lever les yeux, parcourir, contempler les terres.
Ils annotent au fil des semaines la progression, la discipline
De bon ton, à peine orgueilleux, qui marque x son ministère.
C’est la lumière qui se condense, la lumière qui s’obscurcit
Et devient l’énergie première, celle qui régit la matière.
C’est la lumière qui se fait dense, qui ralentit, qui raccourcit
Jusqu’à devenir la charnière de la physique tout entière.
Le voyageur
Le voyageur rassura ses compagnons. Il était très calme et leur parla d’un ton protecteur.
« Ne vous retournez pas. Ne faites pas de geste brusque. Montrez-vous pacifiques. »
Il salua les guerrières en essayant plusieurs langues. L’échange s’éternisait ; les femmes ne bougeaient pas. Le voyageur leur tendit alors ses mains. Surprises, les femmes se mirent alors à parler entre elles. Une langue totalement incompréhensible pour le voyageur qui, pourtant, en connaissait plusieurs et des plus variées. Bien qu’hermétique, cette langue inédite sonnait très agréablement à l’oreille. Les sons étaient riches. Une grande utilisation des voyelles. Succession de phonèmes des plus graves aux plus aiguës.
Par gestes, elles désignèrent les étrangers et les invitèrent à les suivre. Le voyageur incita ses compagnons à obéir. L’étrange communauté marchait d’un pas alerte. Le voyageur en profita pour observer les amazones. Elles étaient à peine vêtues. Leur tenue se limitait à un pectoral très joliment décoré qui retombait sur leurs seins mais sans les cacher. Ensuite une ceinture large où s’accrochaient couteaux et autres outils à première vue mystérieux. Enfin, une culotte de cuir. Une autre ceinture leur barrait le torse en supportant, dans leur dos, un carquois admirablement décoré lui aussi. Pour terminer leur équipement, des bottes de peau, très efficaces, leur permettaient des enjambées sûres et précises. Chaque femme était d’une grande beauté. Elles paraissaient à la fois fières et farouches entre elles ; pourtant, lorsqu’elles s’adressaient aux étrangers, il y avait comme de la douceur dans leurs regards.
Après une heure de marche, ils arrivèrent au village. D’après la position du soleil, il se situait sur la rive opposée de l’île. Aux alentours du village, des jeunes hommes et des jeunes filles riaient ensemble sur la plage. D’autres s’élançaient avec beaucoup de gaîté dans les vagues. Leurs vêtements de plage se réduisaient au strict minimum : ils étaient nus.
Le soleil commençait à se coucher. À l’est évidemment. Lorsqu’ils eurent atteint le centre du village, une très vieille femme s’approcha d’eux. Elle avait dû être très belle autrefois car son visage reflétait toujours une intelligence juvénile. De plus, son corps, bien que ridé, conservait encore des proportions honorables. Elle se rapprocha des étrangers un par un. Lorsqu’elle fut devant le voyageur, elle parla avec les mêmes mots mélodieux que ses guerrières ; malheureusement toujours incompréhensibles pour le voyageur. Par gestes, la vieille dame les invita à la suivre dans une grande hutte tapissée de nattes. Tous s’assirent en cercle. On commença à faire circuler des plateaux de fruits acides avec des coquillages. Le tout agrémenté par une boisson translucide, laiteuse au goût doux-amer qui s’alliait très bien avec le plat. Cela étant, les plats s’enrichirent de poissons très variés aux saveurs subtiles. La boisson avait, alors, une autre teinte, toujours laiteuse et translucide mais au goût un peu plus légèrement salé et acide. Mais le mariage avec les plats était toujours aussi réussi. De remarquables sommelières pensait le voyageur.
Tandis qu’ils mangeaient, de magnifiques danseuses se placèrent au centre du cercle et saluèrent respectueusement la vieille femme que toutes considéraient comme leur chef. La danse débuta par des mouvements qui avaient plus l’air de mouvements de gymnastique que de danse. Beaucoup de mouvements abdominaux et pectoraux. Bientôt, chaque guerrière se leva et participa au rituel. Elles chantaient à bouche fermée. Le voyageur comprenait à présent la raison de leurs ventres plats et musclés ainsi que leurs poitrines galbées et fermes. Cependant, il remarqua qu’il n’y avait pas d’hommes à part eux-mêmes dans l’enceinte. Pourtant, il en avait vu avant de pénétrer dans le village. Étaient-ils mis à l’écart ? N’étaient-ils pas concernés par la réunion ? Sans langage commun, ses questions resteraient sans réponse.
Lorsque les danses furent terminées, la nuit était entamée depuis longtemps. La cheftaine se leva et s’adressa à l’une de ses guerrières. Celle-ci vint vers les étrangers et leur fit signe de la suivre. Elle était très belle. Elle les conduisit à une hutte assez grande pour quatre personnes et tapissée de nattes et de coussins moelleux. Elle leur désigna les emplacements par des mouvements de ses mains en montrant chacun des compagnons. Durant tout ce laps de temps, le voyageur la contemplait. Jamais il n’avait vu femme si belle. Il se rapprocha d’elle. Posa sa main sur sa propre poitrine puis, sur celle de la femme. Il mit ensuite ses doigts sur sa bouche et lui tendit la main en lui souriant. La jeune guerrière fut surprise. La pointe de ses seins se durcit et révéla au voyageur un désir naissant. Elle lui prit alors la main et l’emmena avec elle laissant les trois marins s’installer ensemble.
Un éclair dans la nuit. Une pluie très fine d’abord puis, dure, soutenue et enfin, l’orage. Durant toute la nuit la pluie tomba comme pour bercer la contrée et ses habitants. Ou, peut-être, pour les préparer.
La nuit fut douce pourtant pour le voyageur et sa compagne. Leurs caresses rythmaient les élans de l’orage. Leurs baisers s’accordaient avec les éclairs incandescents. Leurs langages respectifs s’étaient effacés devant leur amour constructif. Ils s’aimèrent et vécurent leur nuit de tempête comme leur nuit de noces. La nuit était éternelle. Leur amour était éternel. Ils se sentaient unis devant le dieu du temps. Devant le temps, tout simplement.
Aux premiers instants de l’aube, elle s’éveillât. Elle caressa le corps de son compagnon afin qu’il partageât, avec elle, les premières heures avant le lever du soleil. Alors, tous les deux se dirigèrent vers la plage et se baignèrent dans l’eau glacée de la nuit. Leurs corps ruisselants, ils sortirent de l’eau et réchauffèrent leur corps l’un contre l’autre. Le voyageur prit sa bien-aimée dans ses mains, l’embrassa et commença, d’abord par gestes puis, par son cœur à communiquer avec elle. Main dans la main, ils s’éloignèrent. L’apprentissage commençait.
Toute la journée durant, le voyageur et sa compagne explorèrent les environs. Ils nommaient les objets, les animaux, les personnes qu’ils rencontraient. Le voyageur apprenait. Il commença quelques phrases. Un mot, d’autres mots. Un verbe, d’autres verbes. Une phrase, d’autres phrases. Son amie le corrigeait, l’approuvait, l’encourageait. Lorsque le soleil marqua la fin du jour, il conversait avec les habitantes du village qui étaient très communicatives.
Il retrouva ses compagnons pour le dîner. Ils étaient heureux de le retrouver.
« Alors voyageur ? » s’enquit le capitaine « Où étais-tu passé ? Qu’as-tu appris ? »
Le voyageur les rassura. « J’ai appris leur langage. Leur langue est très intuitive. Elle utilise beaucoup les voyelles et chacune d’elle possède un sens très particulier. Par exemple le O est masculin et la A féminin. Ainsi OMO désigne l’homme et AMA la femme. Les enfants sont appelés EME ; le garçon EMO et la fille EMA. Le son OU désigne ce qui est petit et ce qui est en bas ; le I ce qui est grand et ce qui est en haut. Le É et le È à droite et à gauche. Le U vers l’avant ; le AU vers l’arrière. Les phrases sont courtes. Sujet, verbe, complément. Limitées à l’essentiel. Parfois seul le nom suffit, ou le verbe. Si le complément est important, il se place, seul, dans la phrase. Le vocabulaire est très logique et s’apprend très facilement. Cela ne ressemble ni à du latin ni à du grec ni à aucune autre langue connue. Pourtant, il y a comme des consonances voisines. En une seule journée, bien que j’aie encore des perfectionnements à accomplir, j’ai acquis suffisamment de connaissances pour pouvoir dialoguer et communiquer avec nos hôtes. C’est même très étrange. Je crois même pouvoir avancer que cet apprentissage rapide n’est pas une coïncidence. À mon avis, il a été créé artificiellement afin que chacun puisse très rapidement communiquer les uns avec les autres. Demain, ce sera votre tour. Puis, vous irez chercher le reste de l’équipage que nous formerons à leur tour. Maintenant que nous pouvons échanger nos idées, je suis persuadé que la lumière sur notre présence et sur l’étrangeté de l’île va être dévoilée. »
Le capitaine et les deux matelots furent apaisés par les paroles du voyageur. Ils mangèrent tous ensemble. Comme la veille, des danses et des chants succédèrent au repas. Vers le milieu de la nuit, la belle guerrière prit la main du voyageur et l’entraîna au dehors dans la nuit. La lune existait aussi dans ce monde. Elle irradiait la plage. L’amour faisait partie de l’apprentissage.
Au matin, le voyageur eut un entretien avec le capitaine. Celui-ci consultait ses cartes de marine et cherchait à trouver la position de l’île. « Voulez-vous faire une expérience, capitaine ? Prenez quelques hommes d’équipage avec vous et mettez le cap plein nord. Naviguez un jour ou deux, pas plus et revenez. L’expérience devrait nous donner une indication très intéressante et de la plus haute importance. » Le capitaine discerna là l’occasion d’entretenir le moral des hommes dans l’action. « L’action calme les nerfs et soulage la conscience » disait souvent ma mère, souligna le capitaine. Les provisions étant toujours à bord, ils purent partir aussitôt. Ils quittèrent la crique et partirent droit devant eux. Le voyageur regarda longtemps le navire atteindre l’horizon. « Nous serons peut-être fixés d’ici demain » pensa-t-il.
Le lendemain, vers midi, un navire fut aperçu à l’horizon devant le village. À l’opposé de la crique d’où étaient partis les marins. Il s’approchait lentement. Lorsque la chaloupe fut mise à la mer et que le capitaine accosta sur la plage, le voyageur l’apostropha : « Droit devant sans dévier du cap, capitaine ?
– Droit devant plein nord, voyageur ! Soit nous avons tourné en rond bien qu’ayant l’œil fixé sur la boussole, soit ?
– Soit le nord n’est pas ce qu’il paraît être » répliqua le voyageur. »
Il convenait, désormais, d’explorer l’île. Un magnétisme formidable les avait conduits dans ce lieu. Toute tentative pour l’éviter était, de toute évidence, impossible. Il fallait donc aller de l’avant. Il fallait aller au plus profond de l’île mystérieuse et découvrir son secret.
« Qu’y a-t-il au centre ? » demanda le voyageur aux guerrières. Personne ne répondit. Il posa à nouveau la question à celle qu’il avait choisie. Elle était nerveuse et agitée. Cependant, par amour pour le voyageur, elle le conduisit vers la hutte de la cheftaine du village.
Lorsqu’ils atteignirent la maison, la cheftaine les attendait sur le seuil de la porte. Elle connaissait déjà la question qui brûlait les lèvres du voyageur. Avant qu’il ait pu s’exprimer, elle fit un geste sur ses lèvres pour réclamer le silence. Elle paraissait à la fois ennuyée, déterminée mais soulagée.
« Venez avec moi, tous les deux » ordonna-t-elle au voyageur et sa compagne. « Nous attendions votre venue depuis très longtemps. C’est un très grand honneur pour moi de représenter mon peuple. Et c’est un grand honneur que tu ais choisi ma fille pour t’accompagner. »
Ils entrèrent et la porte se referma.
Le conquérant
Le conquérant se leva. La princesse endormie avait une respiration calme et profonde.
Il sortit pour profiter des premières heures nouvelles de l’aube. Malgré tout ce qui s’était passé la veille et pendant la nuit, il était parfaitement reposé. Il fit quelques pas au dehors, marcha, traversa la place. Il aimait marcher et sentir sous ses pas le terrain. Il entendit hennir. Il s’approcha des écuries. Là beaucoup de palefreniers étaient affairés. Les boxes étaient d’une propreté remarquable ; les chevaux soigneusement brossés et alimentés avec soin. Il reconnut leurs montures et caressa affectueusement le cou de chaque animal. Il leur parla aussi. On s’occupait d’eux avec beaucoup d’attention autant que tous les autres représentants du cheptel. Il échangea quelques mots d’estime avec les garçons d’écuries. Ils lui offrirent du thé. Il but avec eux et sortit rasséréné.
Lorsqu’il revint à son appartement, la fille était partie. Il se dirigea vers la pièce d’eau et se lava minutieusement. Une fois régénéré et rasé de frais, il alla directement à la salle à manger. La princesse était là. Elle se leva en lui souriant et l’invita à s’asseoir à ses côtés. Le déjeuner sentait très bon et le conquérant se sentait en appétit.
Dès qu’ils eurent terminé leur déjeuner, ils sortirent ; laissant leurs compagnons à table. Lorsqu’ils furent dehors, ils étaient silencieux. La fille ne parlait pas. Elle était furtive, énigmatique. Silencieusement, elle le ramena aux écuries. Ils sellèrent leurs chevaux et fondirent dans la brume matinale. L’air était frais. Le conquérant appréciait cet air glacé qui lui cinglait les joues. Il appréciait énormément sa monture, le choc des sabots, la plaine déserte. Sa compagne, toujours mystérieuse, galopait devant lui. Il la suivait de près. Elle n’avait pas eu besoin de lui expliquer ni de le convaincre. Elle avait un dessein très précis. Il savait que son offrande de la nuit avait eu pour but de les rapprocher tous les deux. Elle avait besoin d’un homme, d’un étranger, d’un conquérant. Apparemment, elle n’avait pas trouvé chez ses congénères l’élu de son choix. Tout en courant à travers le désert engourdi, il savait qu’elle l’avait attendu, qu’elle l’avait trouvé, qu’elle allait l’emmener vers sa destination. Il était fier d’elle. Ému et honoré d’avoir ce rôle. Il était prêt et se sentait à la hauteur.
Ils arrivèrent devant la grotte. De loin, on apercevait tout d’abord un monticule, comme une petite colline. Puis, le sol s’incurvait légèrement et, à la base, on distinguait une ouverture.
Le gouffre était imposant, majestueux. On ne distinguait rien dans ses ténèbres. La princesse lui en fit la démonstration. Elle lança un gros morceau de rocher. Ils se firent silencieux. Rien. Pas un son, pas un bruit. Elle embrasa une torche et la lança de la même manière. Ils se firent attentifs. Ils virent la lumière de la torche devenir de plus en plus petite, de plus en plus lointaine jusqu’à ce qu’il fut impossible de la distinguer parmi les ténèbres.
La princesse parla : « Selon nos légendes, les dieux habitaient au fond du gouffre. Fond qui était impossible à atteindre pour les hommes mortels. Il y eu même, il y a très longtemps, des sacrifices humains. Des prêtres et prêtresses précipitaient des jeunes hommes et des jeunes filles pour l’adoration des dieux. C’était il y a longtemps, très longtemps. De nos jours, il n’y a plus de crainte et le culte a disparu. En revanche, nous avons tous un respect pour cet endroit. Nous ne croyons plus que les dieux demeurent au fond de l’abîme mais nous pensons que, si les dieux résident quelque part sur la terre, alors, c’est sûrement ici. »
Le conquérant réfléchissait rapidement. « Des cordes seront inutiles, c’est trop profond et le poids de chaque corde sera au-delà de leur propre résistance. Non, il nous faudrait un vaisseau, un radeau des airs. Une montgolfière ! Rentrons ! J’ai besoin de m’entretenir avec mes compagnons. »
Ils enfourchèrent leur monture et revinrent au galop vers le village. Le cœur de la princesse battait très fort dans sa poitrine. Elle avait trouvé son héros.
Lorsqu’ils revinrent au village, il convoqua ses compagnons et leur proposa son entreprise. L’homme de science se mit aussitôt à étudier les plans de leur vaisseau. L’écologiste composait la liste de l’équipement à emporter tandis que le commandant, méthodiquement, inspectait les armes. Le chef du village proposa trois de ses meilleurs guerriers. Il voulait, avant tout, protéger sa fille et, ensuite, compter sur ses propres observateurs.
La confection de la montgolfière prit plusieurs jours. D’abord, il fallut concevoir la taille et la forme de l’enveloppe. Ensuite la fabriquer avec les moyens qu’offrait le village. Puis, ils durent imaginer et échafauder la nacelle. Enfin la puissance des brûleurs, les contrepoids, le lest.
Une lune s’était passé lorsqu’un étrange convoi arriva auprès de la grotte. Les chariots chargés de matériaux insolites se groupèrent. Les passagers s’affairèrent longtemps. Chacun à sa tâche, chacun travaillant d’ensemble.
Au matin, un navire singulier s’était dressé. La technologie employée semblait défier les lois de la nature. L’enveloppe était sphérique. Au-dessous, la nacelle accueillait huit passagers. Sur chacun des quatre flans, des gouvernails orientables, et articulés entre eux, permettaient des manœuvres précises dans les trois dimensions. Pourvus de brûleurs faisant office de réacteurs actifs, ils procuraient une navigation dynamique. Un brûleur principal était recentré, canalisé vers l’enveloppe. C’était la poussée principale vers le haut. Pour descendre, le calcul avait été très difficile. On avait imaginé un système statique de poids et de lests pour faire chuter la montgolfière pas trop vite ni trop lentement. Tout en tenant compte de l’accélération de la pesanteur. En cas de danger, un lien de sécurité permettait de se séparer instantanément du poids de lestage et, ainsi, de remonter le plus vite possible. Les gouvernes latérales détenaient la responsabilité de la descente rectiligne.
Lorsque tout fut prêt, les quatre compagnons et la fille du chef escortée par les trois guerriers désignés étaient à bord. Au moyen de cordes, la montgolfière fut amenée au centre du gouffre. Puis, après un salut solennel à l’assistance, les amarres furent ôtées.
« Le domaine des dieux nous est ouvert ! » clama le conquérant tandis que le vaisseau fantastique commençait sa descente.
Il faisait froid. Très froid. Heureusement, parmi la charge étaient prévus des vêtements chauds. Ils s’empressèrent de les revêtir et allumèrent les lampes. La nuit était, maintenant, totale. Les parois rocheuses défilaient devant le radeau des airs. Le paysage monotone continua durant des heures et des heures. N’ayant rien d’autre à faire, ils sortirent leurs provisions et entamèrent leur premier repas aéronautique tout en devisant. Qu’allaient-ils trouver au terme de la descente ? Et pendant ? Avaient-ils prévus suffisamment de provisions ? Ils se retrouvaient un peu comme le jour d’avant leur départ. Leurs montres marquaient le soir tandis que le paysage de ténèbres continuait sempiternellement.
« Montons la garde à tour de rôle et dormons ! Il vaut mieux préserver nos forces pour l’inattendu si toutefois il se montre demain. » Le conquérant, par ses ordres, clôtura les dernières conversations de la journée. Tous étaient fatigués. Ils baissèrent les lampes, laissant la dernière à la sentinelle puis, ils s’endormirent.
Le maître
Le maître parcourut des yeux le tour de la table. Il marqua une pause sur chaque regard de ses frères et sœurs. Il se leva, alla vers les fenêtres qui donnaient sur l’entrée du domaine. Il vit les lumières.
« Je crois que nos visiteurs sont arrivés. »
Il revint à la table et s’expliquât : « Comme je vous en ai averti, nous savons que des voyageurs étrangers à notre civilisation se rapprochent. Ils sont tout près. Avec l’aide de plusieurs médiums dont je vous ai parlé précédemment, j’ai pris l’engagement pour nous tous d’inviter leurs représentants. J’ai reçu une réponse positive qui m’indiquait la date d’aujourd’hui. Vous comprenez, à présent, pourquoi j’ai été si exigeant quant à votre présence ce soir. Il fallait que nous soyons tous réunis. Ah ! Je crois qu’ils sont là. »
Quatre visiteurs franchissaient le seuil de la maison escortés par les serviteurs. Ils portaient un large habit noir comme pour dissimuler leurs traits. L’un d’eux portait un coffret. Ils entrèrent et se postèrent, alignés, devant le maître. Le dernier des visiteurs déposa son coffret à même le sol. Lentement, une lumière monta du coffret et illumina la grande salle. Ensuite, la lumière se densifia et revêtit une forme humanoïde. La forme avait de grandes proportions. Gigantesque. Elle semblait faire dans les quatre mètres de haut. La forme s’intensifia. Elle se concrétisa.
Le personnage était bien visible, maintenant. Sa couleur dominante était d’un violet très pale et très lumineux à la fois. Une voix surgit.
« Je vous salue tous, chacun, les uns et les autres, hommes et femmes. Nous avons été sensibles à votre appel. Nous sommes venus car nous savons que vous êtes prêts à nous entendre. Soyez remerciés et loués pour la beauté et la pureté de vos cœurs. »
Le maître avait regagné sa place mais était resté debout, respectueux. Il se rapprocha de l’être tout en se maintenant à distance.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il avec une curiosité mêlée d’admiration et d’un profond respect.
« Nous sommes issus de vous-même ; bientôt ; un jour lointain ; ailleurs ; dans une autre dimension. Nous ne sommes pas des dieux bien que nous pourrions, sans difficulté, montrer une supériorité par rapport à l’évolution actuelle de la terre. Mais en réalité, nous ne sommes pas supérieurs à vous. Pas plus qu’un fils est supérieur à son père, pas plus que le premier maillon d’une chaîne est supérieur au dernier. Nous faisons partie, comment dire, d’un meilleur tirage, d’un meilleur choix, d’une meilleure combinaison bien avant la vôtre. Simplement avant la vôtre. » Il souligna étonnamment ce mot. « Voyez-vous, l’Infini a concrétisé son amour et a créé un monde limité. Ce fut là le premier miracle de la vie. De ce monde parfaitement limité, toutes formes de vie se sont développées. Certaines plus vite que les autres ; certaines ont terminé leur cycles ; d’autres se sont organisées. Sur des milliards et des milliards d’années, certaines vies ont, les premières, trouvé la bonne combinaison, la meilleure voie. Et ainsi de suite. Nous sommes actuellement, les descendants de ceux qui ont trouvé leur évolution bien avant vous. Mais nous veillons aussi sur vous. »
Chacun des membres de la confrérie s’était levé et avait rejoint leur maître-compagnon. Ils s’étaient tous placés autour de l’être de lumière. Chacun le voyait pleinement. Comme si les perspectives du monde réel s’était, pour un bref espace de temps, estompées.
« Que nous proposez-vous ? » demanda le maître.
« Notre aide ! » répondit l’humanoïde géant.
« Votre monde est plongé actuellement dans le plus grand fléau de l’humanité. Dans votre histoire, les hommes se sont battus pour la nourriture d’abord, ensuite ils se sont battus pour les territoires de chasse puis, ils se sont battus pour leur dieux. Aujourd’hui, ils continuent encore. Parallèlement, ils ont créé de leurs mains le symbole de leur puissance. L’argent. Et tout cela, vous le savez déjà. Votre confrérie connaît déjà toutes ces informations et vous avez suffisamment grandi pour en être complètement détachés. En revanche, l’humanité s’y enlise et ses forces ne sont pas suffisantes pour l’en extirper. C’est la raison pour laquelle je vous propose notre aide.
En ce qui concerne les questions que vous vous posiez, sachez que nous avons caché la stèle de la connaissance dans un repli du monde inaccessible. La coïncidence pour l’atteindre existe sur des milliards de combinaisons. Cette stèle dévoile l’origine de la race humaine ainsi que son devenir. Nous l’avons dissimulé pour éviter que cela enflamme le feu des religions de la terre et ne provoque une croisade multiple.
La table d’émeraude est le passage que nous utilisions autrefois pour aller et venir dans votre monde. Elle est aussi très dangereuse pour vous. Celui qui emprunte sa voie devient maître des dimensions. Maître du temps, maître de l’espace, maître du monde. En revanche, il perd son humanité et ne peut revenir en arrière. Nous avons enfoui la table d’émeraude dans les profondeurs et dans le feu de la terre afin qu’elle ne soit plus employée.
Les perturbations du temps sont dues au passage d’un homme de votre race. Il a accepté de franchir les limites du monde pour rechercher l’amour et revenir sur terre porteur de la puissance de l’amour. Il est parti en éclaireur. Il reviendra porteur de lumière.
Votre rôle sera d’observer les évènements liés à la stèle ainsi qu’à la table d’émeraude. Votre rôle sera, également, d’accueillir le retour du porteur de l’amour.
Mais pour l’instant, nous vous invitons à un baptême particulier pour chacun de vous, tous ensembles. Nous allons vous montrer les coulisses de l’univers. »
Tandis qu’il parlait, les quatre visiteurs avaient érigé une arche lumineuse. Une arche à l’architecture qui semblait défier les lois de la physique. Les arcs semblaient partir dans des directions opposées tout en se réunissant au sommet. Ils paraissaient flotter dans l’air tout en étant reliés au sol par de solides piliers.
L’étrange personnage se positionna au centre de l’arche.
« Venez, hommes et femmes de la Terre ! Venez et soyez les témoins ! »
Les douze confrères entrèrent dans l’arche. Les quatre visiteurs replièrent alors l’espace de celle-ci. Il n’y eut alors plus rien. La grande pièce s’était vidée de ses occupants. Seul le souffle du vent au-dehors était perceptible.
Le sage
Le sage était heureux. Il était arrivé nu dans ce nouveau monde, comme un enfant, et chacune de ses rencontres l’avait habillé de lumière, d’eau, de feu, de terre et d’air. Il se sentait comme une nouvelle création.
Le haut personnage parla alors : « Je suis le passeur. Mon devoir est de te faire traverser les différents mondes jusqu’à ta destination. J’étais là lorsque tu as quitté ton apparence humaine et charnelle. Tu ne pouvais me discerner car j’étais sur une vibration différente du monde des humains. Pourtant, c’est moi qui ai accueilli ton corps spirituel et qui lui ai fait franchir la frontière. Le passage n’étant pas matériel, tu n’as vu que des lignes d’énergies, des cordes cosmiques. Les coulisses de la création. Lorsque nous sommes arrivés sur le premier monde, ton âme était celle d’un enfant ; c’est pourquoi les trois premiers anges sont des enfants. Ils sont là pour te faire rire et pour réjouir ton cœur d’enfant. Ensuite je t’ai amené sur le deuxième monde. Les quatre anges qui se sont occupés de toi sont des femmes mères. Ensemble et différemment elles t’ont accouché. Les quatre éléments que tu as traversés t’ont donné un nouveau corps, une vision neuve, un cœur nouveau, une enveloppe nouvelle, un souffle nouveau. Maintenant, tu vas pouvoir jouir de la vie de ton nouveau corps. Nous entrons à présent dans le troisième monde. Continue le chemin ; nous nous reverrons au bout. »
Le passeur salua le sage et s’en fut.
Le chemin était simple. Ni rocailleux ni en pente, ni encombré. Il allait tout droit. Tout droit vers l’infini. Ni paysage, ni détail ne permettait de distinguer l’avancée du marcheur. Au fur et à mesure qu’il marchait, le chemin se fondait de plus en plus avec la clarté de la lumière. Bientôt on n’y vit plus rien. Que de la lumière, sans repère. Comme un aveugle pour qui les ténèbres auraient été lumière totale. Pourtant, le sage ne craignait pas le vide. Il ne craignait pas de se perdre non plus. Il continuait à avancer. Le passage dans ce néant lui semblait un bain purificateur.
Dans un temps étiré au-delà de la foi de celui qui marche, des couleurs se dessinèrent. D’abord fluides, mélangées puis, séparées et enfin ordonnées. Enfin, le chemin de lumière devint couleurs.
Les couleurs continuèrent à changer et le chemin devint enfin rouge. Il invita le sage à l’emprunter. Au bout du chemin, il y avait une maison rouge. Sur le seuil de la maison, une femme aux cheveux rouges. Elle le fit entrer. La porte se referma sur lui.
Lorsqu’il fut à l’intérieur, Rouge n’était plus là. Pourtant toute la maison transcendait sa présence. La pièce où il se trouvait était chaude et plongée dans la pénombre. Il lui semblait entendre des sons, de la musique, des voix étouffées. Au centre, il y avait une sorte de nacelle sous l’arc voûté de la salle. Il s’y assit, s’y coucha et s’endormit profondément. Pendant qu’il dormait, il entendait les battements du cœur de la maison. Il en était bercé. Il s’adaptait. Il ne pensait pas ; il ressentait tout simplement. Il était relié à sa maison ; il était relié à la vie. Lorsqu’il comprit sa réalité, il s’éveilla. Il était au dehors.
La femme Orange le berçait doucement. Elle lui chantonnait une chanson d’amour. Il était bien avec elle. Elle était sa protectrice. Il avait faim. Elle lui offrit des fruits. Le premier avait la douceur du lait maternel, le deuxième la consistance des soupes de la terre, le troisième l’acidité du feu, le quatrième la légèreté de l’air. Il savoura le moment de sa première enfance. Ensuite, il grandit.
Quand tout devint jaune, il vit d’abord son reflet à côté de lui qui le secouait. Comme une image de lui-même, il lui courait autour. Jaune, comme une sœur jumelle riait et courait. Elle était joyeuse. Entraînante. Un sourire d’amour se dessina sur ses lèvres et dans son cœur. Il prit la main tendue de sa sœur et se laissa guider. Instant d’amour fraternel. Ils couraient, tous les deux, dans les chemins. Elle était espiègle, elle était farceuse, elle jouait beaucoup. Et lui aussi. Ils s’amusèrent et rirent aux éclats dans la pleine lumière d’un jour ensoleillé.
Plus tard, ils continuaient à marcher dans les prairies. Verte avait relayé Jaune. Les jeux et la complicité avaient apporté un amour de sérénité. Ils étaient ensemble. Ils se sentaient l’un l’autre. La verdure du paysage éclairait leur cœur d’une amitié ouverte. Ils marchèrent tout l’après-midi se tenant la main ; partageant chaque instant de découverte. Il faisait chaud. Ils avaient soif.
Au travers des arbres, ils aperçurent d’abord des reflets bleus. Une ligne imaginaire qui approfondissait l’horizon. Puis, se dessinèrent des berges et des baies ombragées. Bleue l’avait patiemment attendu. Le lac bleu était accueillant. Ils se dévêtirent et plongèrent ensemble. D’abord des cris enthousiastes. Puis la joie de nager et de se sentir faire corps avec l’eau. Ensuite la béatitude d’être ensemble dans l’eau. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre et connurent l’extase de vivre en harmonie.
Lorsqu’ils sortirent de l’eau, la couleur du temps avait changé. Une heure après l’heure ; juste après. Indigo était silencieuse. Elle n’avait plus besoin de mots ni de paroles. Dans la clarté indigo du crépuscule, ils se regardèrent, échangèrent leurs vœux ; ils étaient l’un pour l’autre. Ils n’espéraient rien d’autre que de vivre à nouveau avec une ouverture l’un à travers l’autre.
Violette l’aimait. Le soir les avait recouvert lorsque, enlacés, ils s’offraient mutuellement leurs âmes, leurs corps, leurs esprits. La nuit était violette. Elle les recouvrit tous les deux.
Blanche était l’aube. Blanche était la lumière. Blanche était l’âme du sage. Il avait acquis une nouvelle dimension. Blanche s’était fondue en lui. Son cœur s’était ouvert à son âme sœur ; son âme sœur s’était ouverte à lui, s’était offerte à lui, s’était donnée à lui. Désormais, ils étaient deux. Ils étaient heureux, ils s’étaient retrouvés, ils étaient unis, Ils étaient un.
Le passeur était là. Toujours grand, toujours imposant, toujours déterminé. Mais fier. Non pas fier de lui-même. Il était fier de celui qu’il avait accompagné, il était fier de celui qu’il allait emmener vers sa nouvelle terre.
« Ne crains rien ! » lui dit-il en le tenant fermement. « Je dois te maintenir car, à présent, le feu va t’épurer. »
Ils arrivèrent auprès d’une source qui se déversait dans un bassin très profond. Il le saisit par les pieds et l’immergea complètement. Dans le bassin, le sage se réalisa aussitôt. Il n’était plus homme ni chair ni même vie, il était un être de lumière. Tout un voile s’était déchiré. Il comprenait, il redécouvrait sa propre essence, il voyait qui il était vraiment. Il leva la tête et vit qu’il était fils de Dieu. Il se retrouvait comme à l’instant de la création. Il était nu. Nu de toute expérience et nu de tout connaissance. Lorsque le passeur le sortit du bassin. Le sage avait vu la vérité et la liberté. Il sut, alors, que son corps, son esprit et son âme allaient le recouvrir et que son essence primaire serait à nouveau enveloppée pas ses connaissances. Il comprit alors le sens du passage. Son immersion lui avait révélé son être astral, hors de tout corps. Son corps physique, à l’instar, le submergeait de toutes ses expériences d’homme. Il ne reniait aucune d’elles. Il savait qu’il ne pouvait revenir à l’aube de sa création sans renier son histoire, ses conquêtes, ses maîtrises. Il fallait qu’il trouve au travers de son existence à transcender son moi profond et sa connaissance. Alors, il regarda le passeur auréolé de feu et dit : « Je vais, maintenant, traverser le feu. ».
Il devait reconnaître la souffrance de la terre. Il en était issu, il reviendrait.
Il était né sur la terre, il désirait, à présent, retrouver l’expérience de la terre.
Elle allait être douloureuse.
Il n’avait pas d’appréhension car il savait, qu’à tout moment, il restait relié.
Tableau de Laureline Lechat
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