
Le conquérant marche au zénith sous le soleil point culminant
Il a appris à observer, comprendre, entendre et entreprendre.
C’est dans la lumière bénite, à l’aise dans son élément,
Qu’il a su toujours préserver toute son existence à apprendre.
Il est le temps qui accélère et qui impose ses limites
Qui indique la persistance du moindre atome qui demeure.
Il est le temps qui décélère, qui mesure et qui délimite
La durée de tout existence, de ce qui naît, grandit et meurt.
Le voyageur
Le voyageur contemplait le coucher de soleil sur la mer. Les somptueuses couleurs habillaient l’océan de pourpre. Le vent s’était mis à souffler. Il avait, au début, chassé les nuages aux confins de l’horizon. Il avait, ensuite, fait trembler la face des eaux. Il avait, par la suite, provoqué l’agitation parmi les flots. La tempête s’annonçait. Elle s’éveillât, montât de l’horizon et s’abattit tel un ennemi magique sur la mer. Pendant des heures le navire fut ballotté, soulevé, rabattu, conduit comme un fétu de paille par les éléments déchaînés. Chaque membre de l’équipage, des hommes de métier, tantôt priait, tantôt bravait le Léviathan des mers, tantôt cherchait à sauvegarder sa vie.
« J’en ai connu des tempêtes, des folles furieuses, des mortelles et des extrêmes. Je crois que celle-ci est la fille de toutes ces furies réunies ! » Lança le capitaine comme un défi ou comme un constat. « Quelle route suivez-vous, capitaine ? » demanda le voyageur. « Une nouvelle route que m’a indiquée un guide maritime qui, bien qu’inhabituelle, me permettait de rattraper notre retard. Mais maintenant, bien que j’aurais aimé l’avoir avec nous, je préfèrerais le savoir rôti dans tous les enfers ! J’espère bien que … »
Le capitaine fut pétrifié en même temps que l’équipage comme s’ils étaient en présence de Neptune. Un mur d’eau, d’une hauteur inimaginable, d’une largeur impossible à discerner, se dressait devant eux, les dominait et allait, dans quelques secondes, s’abattre sur les aventuriers de la mer. Plus le contact était imminent, plus les vents s’agitaient.
Le mur bascula puis, subitement, il disparut.
Dans le creux de la vague, la nef ressemblait à un pèlerin agenouillé devant Dieu.
« Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Le mur d’eau ? Plus rien ! ». La tempête s’amenuisait maintenant, petit à petit. La nuit noire, glaciale lui succéda.
Aux premières lueurs du matin, au moment où commençaient à pâlir les étoiles, le timonier rugissait « Damné compas de malheur ! Le voilà qui s’est complètement affolé ! Le voilà qui regarde le sud à présent ! ». Tous les marins s’empressèrent et accoururent autour de la boussole et constatèrent, consternés, l’étrange fatalité.
Le voyageur regarda de tribord et bâbord et, en s’adressant à ses compagnons, « Avez-vous remarqué, si la boussole nous indique non pas le sud mais le nord, où se lève le soleil en ce moment ? ». « Dieu des mers, rugit le capitaine, il se lève à l’ouest ! ».
Les marins croisèrent leur regard. À la fois éberlués et consternés. La terreur était sous-jacente.
Le voyageur restait calme. Au contraire de tous ses compagnons qui voulaient revenir en arrière, il préférait reconnaître sa nouvelle situation et l’accepter. Il ne revenait jamais en arrière et bien souvent l’impossible devenait pas à pas possible ; comme un espoir surgi du néant à chaque avancée.
« Avez-vous fait le point ? » s’enquit le voyageur auprès du capitaine.
« Eh bien ça a l’air complètement loufoque. Si on admet que l’est et l’ouest sont inversés, alors tout concorde. Nous sommes bien sur notre route, le cap est bon, tout va bien. À condition, bien sûr, d’accepter que le ciel est à présent transposé, comme à travers un miroir. »
« Île droit devant, capitaine ! » hurla l’homme de vigie. Agrandie par les lentilles de la longue-vue de marine un petit morceau de terre se détachait de l’horizon. La vision en était irréfragable.
« Nous y serons ce soir, j’estime. Droit devant les gars ! Nous avons besoin de faire une halte ! ». Le capitaine se tourna vers le voyageur. « De tout l’équipage, tu restes étrangement calme. Comme si tout ce qui se passe autour de nous n’existait pas. Soit tu es fou, sois tu es l’homme le plus courageux que je connaisse ! ».
Le voyageur sourit : « Voici le nouveau monde ! ».
Il se tourna vers le capitaine : « C’est bien ce que vous étiez venu chercher, n’est-ce pas ? ».
Au coucher du soleil, le navire accosta. L’île était bien réelle. C’était la parfaite reproduction de toutes les îles que l’on voit dans les livres d’image. Une longue bande de plage ceinturait le pourtour. Une crique s’ouvrait et offrait à l’œil la beauté d’une lagune. Une jungle touffue faisait office de manteau. Un volcan endormi émergeait du milieu de l’île.
L’ancre fut jetée, les tours de garde furent distribués. On attendrait le lendemain pour débarquer. La nuit serait longue.
Au plus profond des ténèbres, le voyageur était de garde. Il composa une chanson.
D’abord l’obscurité bleuit, la ligne d’horizon pâlit. L’aube se rapprochait. Au moment où le soleil se leva à l’ouest, un oiseau lança un cri. Dans la clarté naissante du jour, chacun observait l’île. Elle avait l’air beaucoup plus grande que la veille. Immense, même.
Le capitaine, le voyageur et deux matelots descendirent dans la chaloupe et lentement, voguèrent vers le rivage. L’eau était transparente, pure et chaude à leurs pieds. Ils avaient l’impression d’atteindre un paradis. La lagune semblait du bleu le plus pur qui puisse exister.
L’étonnement de chacun augmentait de seconde en seconde.
« A première vue, l’île devrait faire entre 15 et 20 kilomètres de rayon environ, si nous supposons que le pic se trouve au centre. Ce qui nous donne une circonférence d’une centaine de kilomètres de circonférence si notre île est de forme arrondie. Si vous voulez mon avis, une simple reconnaissance ne sera pas suffisante. Je vais faire débarquer les hommes. Trois resteront à bord à tour de rôle pour former la garde. Nous allons installer le campement ici, au bord de la lagune, provisoirement. » Le capitaine donna ses ordres brefs et précis. Il s’agissait pour lui, avant toute chose, de préserver le moral de ses hommes et de tout faire pour ne risquer aucune vie.
« As-tu une idée de l’endroit où nous sommes, voyageur ? » questionna le capitaine.
« Ma première impression est que nous avons basculé dans un repli du monde. Je ne peux pas, pour l’instant, expliquer comment cela s’est produit. Nous sommes passés par une sorte de porte et nous sommes à présent de l’autre côté du monde. Il y a deux possibilités : la première, la plus simple, que ce soit le fruit du hasard et dans ce cas, il est impossible de prévoir si nous allons en sortir ; la deuxième et, à mon avis, la plus probable, est que nous naviguions au bon endroit et au bon moment et que quelque chose ou quelqu’un nous a attiré ici dans un but bien précis. Même si le premier choix est le bon, il ne servirait à rien de saper le moral des hommes. Je propose alors de suivre mon intuition et découvrir ce qui nous a attiré dans ce monde. Je suis persuadé que lorsque nous l’aurons découvert, nous pourrons librement repartir. »
Le capitaine ne répondit pas. Le voyageur avait raison. Il prenait autant de soin pour la sécurité de tous que pour lui-même. Ensemble, ils allaient devoir découvrir leur destinée et le rôle qu’ils devaient jouer.
Lorsque l’équipage eut débarqué, chacun entreprit de monter un campement de fortune. Les eaux étaient très poissonneuses. Tandis que tous s’affairaient, le voyageur se confectionna un harpon et se mit à pécher. À midi, la pêche était fructueuse. Sur un lit de braise, tous firent dorer leurs poissons et mangèrent tout en commentant leurs aventures et en se questionnant sur leur devenir. Ils s’enquirent auprès du capitaine de ce qu’il convenait de faire. Celui-ci s’entretint avec le voyageur.
« Il est inutile de nous risquer tous en même temps. Que les hommes continuent de dresser le bivouac pour la nuit. Je vous propose, vous, deux de vos hommes et moi-même, d’aller en reconnaissance vers l’intérieur. À heure fixe, nous enverrons un signal visible de la plage afin, qu’en cas d’attaque, nous puissions être secourus ou, au contraire, que l’équipage puisse nous rejoindre s’ils sont menacés. Il serait sage de faire plusieurs groupes, mais nous ignorons encore la topologie de l’île. Nous sommes, donc, contraint d’agir ainsi ».
Le capitaine acquiesça. Leur repas terminé, les quatre éclaireurs partirent vers l’intérieur des terres. Ils marchèrent à pas de loup. Une heure, puis deux, trois, quatre. À intervalle régulier, ils lançaient une fusée de signalisation tout en faisant une pause. Ils n’avaient, malgré tout, guère avancé. La forêt était dense et le sol incertain. Chacun était aux aguets. Au quatrième arrêt, le voyageur averti ses compagnons.
« J’ai vu des ombres derrière les arbres. Je crois qu’on nous épie depuis un bon moment, maintenant. Ne paraissez pas effrayés. Continuons à avancer. S’ils étaient hostiles, ils nous auraient déjà attaqués. »
Inquiets et sur leur garde, ils atteignirent, enfin, l’orée du bois. Dès qu’ils furent dans la clairière, comme surgies de nulle part, une douzaine de guerriers leur barrèrent la route. C’étaient des guerrières. Elles étaient magnifiques. Elles arboraient un air farouche et décidé.
« Bien ! » dit le voyageur. « Notre rencontre commence. »
Le conquérant
Le conquérant observait les collines à l’horizon. La nuit allait bientôt tomber. Une ombre rougeoyante les dominait et annonçait les vents du lendemain.
Lorsque le convoi atteignit la première étape, ils eurent tout juste le temps de s’engouffrer dans l’auberge lorsque les météores rugissants déversèrent leur fougue parmi les arbres et les prés en soulevant des nuages de poussières aveuglants.
Ils restèrent un moment sans dire un mot jusqu’à ce que le conquérant brise le silence.
« Madame, messieurs, comme vous le savez, nous devons rencontrer demain les habitants du désert et, surtout, leurs chefs. Notre mission est d’observer et noter les points faibles comme les points forts puis, il nous faudra négocier. La tâche de chacun sera de la plus haute importance. Vous, l’homme de science vous aurez à expérimenter les sols et les minéraux. Madame, en tant que botaniste et écologiste, vous devrez livrer votre diagnostic quant à la possibilité d’ensemencements et de cultures. Vous, commandant, votre rôle est d’estimer s’il existe des dangers et d’explorer les contrées. Quant à moi, en possession de vos rapports je devrai négocier au mieux les nouvelles terres. Nous avons très peu de temps et surtout ne devons pas montrer un trop grand intérêt pour eux et surtout encore ne pas montrer la moindre faiblesse de notre part. Ces gens nous ont choisis comme étant dignes de confiance, nous devons faire en sorte qu’ils en soient fiers. S’il y a encore des questions non résolues, je vous conseille de les exposer maintenant. Je tâcherai d’y répondre d’après mes connaissances.
– Croyez-vous qu’ils se montreront coopératifs ?
– Ce sont eux qui nous ont contactés, nous pouvons en déduire qu’ils sont pacifiques.
– Savez-vous s’il existe parmi eux des hommes de science, des érudits ?
– Il existe des sortes de chaman chez eux. Ils enseignent les jeunes et font office d’hommes médecine. Mais ils sont très discrets et semblent peu enclins à communiquer leur savoir. En revanche, ils ne sont pas belliqueux. Libre à vous d’entrer en contact avec eux. Après tout, c’est aussi votre rôle.
– Quelles armes possèdent-ils ?
– Eh bien, ils se servent essentiellement d’armes de jet. Arcs et javelots, d’après ce que j’ai pu apercevoir. Néanmoins, étant donné qu’ils ne subissent jamais d’attaque d’ennemis, il est possible qu’ils aient autre chose d’efficace. De très efficace. Je ne vous conseille pas d’essayer de découvrir de quoi il s’agit. Laissez-leur leurs secrets. Après tout, nous ne sommes pas là pour les convertir. Dieu merci, nos gouvernements nous ont épargné la présence d’un prêtre. À moins que, au contraire, le clergé ne fomente quelques idées en secret. Enfin, pour l’instant nous n’avons pas à nous préoccuper de politique ni de religion. Eh bien madame, messieurs, si j’ai répondu à vos questions, je vous propose d’aller tous nous coucher. Départ à 5h avant l’aube. Bonne nuit. »
La nuit fut-elle semée de rêves et de suppositions, elle recouvrit chacun et leur permis de recouvrer leurs forces.
Une brise légère et le froid du matin. Quatre compagnons s’affairaient. L’un triait ses livres, documentations, matériel d’échantillonnage. Une autre préparait son matériel d’observation, microscopes et matériel de chimie portables. Le troisième passait ses armes en revue, son matériel de communication. Le conquérant était déjà dehors. Il s’occupait des chevaux. Il avait préféré les utiliser plutôt que des machines qui auraient pu souffrir des vents du désert. D’autant plus que les ressources en carburant étaient très limitées. Les chevaux, eux, avaient l’avantage de se déplacer plus facilement quel que soit le relief du terrain. Ils pouvaient, éventuellement, devenir aussi une monnaie d’échange. C’était peut-être faire peu de cas de leurs montures mais il fallait faire des choix.
Ils partirent. Quatre cavaliers et quatre montures de bât. Personne ne parlait. Chacun observait le paysage qui défilait lentement comme les aiguilles d’une horloge. Ils devaient franchir la barrière des collines avant de pénétrer dans la contrée d’investigations.
Arrivés au sommet, ils firent une halte pour déjeuner et pour s’occuper des chevaux. À présent, la plaine s’offrait à leurs regards.
Le conquérant sourit : « Voici le nouveau monde ! ».
Les deux scientifiques et le commandant avaient déjà endossé leurs jumelles et chacun scrutaient, guettaient, détaillaient la contrée sauvage. Chacun cherchait selon ses motivations. Le conquérant, quant à lui, examinait la route à suivre jusqu’au village où ils étaient attendus. Ils y seraient au soir estima-t-il.
C’était le début de l’après-midi. Le conquérant donna l’ordre du départ. Pendant toute la chevauchée jusqu’à leur destination, l’homme de science notait toutes ses observations dans son carnet de voyage. La botaniste faisait de même mais, par moment, elle mettait pied à terre pour prélever un échantillon soit de terre, soit végétal. Le commandant, de son côté, vérifiait ses cartes et faisait constamment le point. Mis à part le conquérant qui demeurait calme et serein, les activités intenses de ses trois autres compagnons révélaient une nervosité qui trahissait leurs inquiétudes.
Lorsqu’ils arrivèrent enfin aux abords du village, le soleil était commencé à se rapprocher de l’horizon. Sa lumière tamisée peignait les maisons d’une couleur dorée. La citadelle apparaissait aux cavaliers comme revêtue d’or. Sur la place principale, un groupe d’hommes et de femmes les attendait.
Le conquérant mit pied à terre et s’avança vers le personnage le plus important qu’il connaissait comme leur chef. Les habitants portaient un air sévère, déterminé et farouche. Ils étaient chez eux. Le conquérant salua le chef du village et ses guerriers, se présenta lui-même puis, présenta également ses compagnons. Le chef parla brièvement à l’une de ses villageoises. Celle-ci invita les quatre étrangers à la suivre et les emmena dans une grande habitation qui, apparemment, leur était attribuée. Des serviteurs transportaient leurs bagages tandis que d’autres emmenaient leurs chevaux aux écuries.
L’hôtesse leur montra leurs quartiers et fixa avec le conquérant le rendez-vous pour le repas du soir.
Quand tout fut prêt, ils arrivèrent, tous ensemble vers le banquet. On plaça le conquérant à côté du chef du village. Sa fille s’installa à la gauche du conquérant. Les trois autres compagnons s’attablèrent de l’autre côté. Aussitôt, la fête commença.
Les cuissots de gibier, accompagnés de légumes sauvages et acidulés révélèrent les sens de tous les convives. Les coupes s’emplirent de vins éclatants. Des plateaux pourvus de mets étranges quant aux couleurs, quant à leur substance s’échangeaient de place en place. Ils étaient accueillis. Le conquérant, alors, se leva et, tout en brandissant sa coupe, présenta ses hommages à ses hôtes. Il leur fit part de ses désirs de concrétiser, tous ensemble, des échanges constructifs. Avec autorité, il s’adressa à l’assemblée et parla d’échanges, de communications, d’avenir et d’amour.
Des danseuses entrèrent en scène. Elles ravirent chacun des invités. Au milieu, la fille du chef, parée d’habits aussi somptueux que légers, fixait de son corps et de ses ondulations les quatre étrangers. Son regard s’attachait au conquérant.
Le repas somptueux se termina. Chacun se retira. Les quatre compagnons regagnèrent leurs quartiers. Lorsque le conquérant regagna sa chambre. La fille du chef était là. Elle se leva. Fit glisser sa tunique. Le conquérant la toucha. Il était sensible à l’offrande, il était sensible à la femme, il était sensible à cette femme qui offrait le plus profond des messages de son peuple. Il caressa sa nuque, enlaça ses épaules et l’invita à se coucher avec lui.
Le maître
Le maître embrassa du regard ses invités. Ils étaient tous arrivés à présent.
« Bienvenu et merci à tous d’être venus. Je me réjouis d’avance de la soirée que nous allons passer ensemble ! ». Chacun des invités salua son hôte. Tous s’unirent et se congratulèrent avec un respect, une admiration et un amour fraternel profondément empreint.
Le maître de la maison invita ses hôtes à le suivre dans la salle à manger où le couvert était mis. La pièce était haute de plafond. C’était une place de rencontres et de serments. Chaque invité retrouvait sa place, son siège et son emblème. Silencieusement, comme pour une cérémonie, comme pour une séance théâtrale, les acteurs se mirent à leur place. Nul besoin de mots ni de phrases. Seule la communion de chaque regard décrivait la scène.
Le repas, alors, commença. Les sourires détendirent les traits des convives. On parla un peu de tout d’abord ; des nouvelles ; des enrichissements ; des ajustements ; des réconciliations. Les salades de fruits exotiques conquirent maints palais, les poissons enrichis de saveurs apportèrent leurs goûts de voyage, les cuissots marinés concrétisèrent leurs richesses de bouquets et de fumets, les vins couronnaient chaque plat par leur mariage subtil et harmonieux. Un festin pour honorer les hôtes ; des hôtes pour honorer un festin.
Lorsque tout fut consommé, lorsque les serviteurs eurent débarrassé l’immense table dodécagonale, lorsque tous furent rassasiés, les lampes diminuèrent lentement leur clarté, les volets tamisèrent la froideur de la nuit, les cheminées tempérèrent la chaleur de la salle de réunion.
Le maître se leva et parla.
« Mes amis, comme je vous l’ai indiqué dans mes précédents messages, certains évènements m’ont contraint à agir et à vous demander votre aide ».
De l’autre côté de la table le baron répliqua aussitôt « Si tu nous as convoqué, c’est certainement d’une très haute importance ! Jamais tu ne nous aurais réunis sans raison ! Et si nous sommes tous venus à ton appel, tu te doutes bien que nous avons compris, à la valeur de ta requête, son importance. ».
Le maître leva aussitôt ses mains « Avant que chacun ne pose de questions, laissez-moi vous exposer les faits ».
« Ces derniers temps, j’ai longuement parcouru les contrées de la terre. J’y ai trouvé quatre faits marquants qui m’ont fait réagir plutôt qu’agir. C’est dire à quel point je n’y étais pas préparé alors que j’aurais dû rester vigilant. Je suis au regret d’avouer que j’aurais mieux fait de suivre mes intuitions il y a quelques années ; j’aurais perdu moins de temps. Mais qu’importe ! Le réveil, tant douloureux soit-il, est notre meilleur allié, même s’il doit être cinglant.
Premièrement. Il est réapparu une stèle. Cette stèle avait été découverte lors d’une campagne en Égypte par un général conquérant il y a de cela plusieurs siècles. D’autres stèles avaient été découvertes dont l’une a permis de décrypter la signification des textes anciens. Pour dissimuler sa présence, on se mit à rapporter beaucoup de souvenirs, plus importants les uns que les autres jusqu’à mentionner l’importance des pyramides et ramener en occident un obélisque. Plus hautes étaient ces découvertes, plus profonde était dissimulée la stèle.
Deuxièmement. Beaucoup d’alchimistes, d’écrivains et d’aventuriers ont parlé d’une table d’émeraude enfouie et cachée, selon les légendes. Des légendes qui ont été volontairement brouillées pour semer les pistes et permettre l’oubli. Pourtant, des rumeurs certaines (je répète bien : certaines) me laissent à penser que cette table n’est pas seulement d’une importance symbolique mais marque bien une frontière entre deux mondes.
Troisièmement. Plusieurs évènements non relevés par les autorités sur la planète mais observés par plusieurs médiums, que j’ai recrutés et isolés les uns des autres pour éviter toute supposition hâtive et inconsidérée, m’ont orienté vers une certitude. Des voyageurs étrangers à notre monde sont en train de venir à notre rencontre.
Quatrièmement. Au risque de mettre en doute notre science, il est apparu que le temps ne s’écoule pas tout à fait de la même manière sur l’ensemble de notre planète. Il y a des scissions, des ruptures, des ralentissements. Comme si une main déterminée prenait le contrôle du monde.
J’ai, bien entendu, moi-même, examiné et observé chacun de ces phénomènes. Comme vous me connaissez tous, je vous aurais fait part de chaque découverte par des messages à chacun. Mais là, la simultanéité de ces quatre évènements, vous en conviendrez, est telle que j’ai organisé cette réunion car je crois que chacun d’entre nous, par son expérience, peut nous aider à comprendre. Et chacun d’entre nous doit posséder des informations pertinentes. J’en appelle à chacun. ».
L’initiée prit alors la parole. « La stèle n’existe pas. Même pas officiellement. Tout a été accompli pour taire son existence. Je ne sais pas par quel moyen ni par quelles circonstances son existence a émergé de l’oubli. Tout ce que je peux en dire, c’est que le secret a été scellé. Seuls quelques gardiens choisis en ont pris la garde. Néanmoins, et malgré les précautions entreprises, d’autres initiés ont offert leurs vies pour en transmettre la trace. Au fil des générations, j’en suis, aujourd’hui, la dernière détentrice. Cela m’a été transmis comme une légende, une histoire lointaine. Je dois, je l’avoue, faire un effort de mémoire pour en faire ressurgir tous les détails, mais je sais de source sûre qu’elle a été écrite, en grec ancien, par le christ, lui-même, bien avant de revenir en Galilée. ».
« Et le plus étrange, » intervint celle que tous connaissaient comme la magicienne « c’est qu’assurément, l’écriture est celle d’une femme. ».
« En effet, c’est l’une des raisons, parmi d’autres, qui ont plongé le clergé dans le plus grand désarroi si ce n’est le plus grand schisme de l’ère chrétienne. ».
L’ermite prit la parole : « Il existe une ancienne croyance oubliée qui affirmerait que chaque être, lors de son passage sur terre, possède son équivalent masculin ou féminin, selon son sexe, mais qui ne peut coexister en même temps de son existence. Être incarné homme et femme simultanément ne saurait être ; sinon être l’égal de Dieu. ».
L’initiée reprit : « Et nous savons que ni sa mère, ni sa future compagne n’ont pu graver la stèle. Elle est bel et bien de la main du christ. »
Un long silence accompagna l’écoute de ce premier échange.
Le maître rompit le silence et demanda : « Qui donc, parmi vous, peut maintenant nous éclairer sur la Table d’Émeraude ? »
La magicienne parla : « La table d’émeraude est à la fois un départ et un aboutissement. Un départ parce qu’elle donne la connaissance et le pouvoir à celui qui arrive à y accéder. Un aboutissement parce que son rôle est de terminer un cycle. Celui qui l’approche devra à la fois évoluer et changer de monde. On peut aussi la voir comme une porte, un seuil. On entre par la porte d’émeraude mais on sort également de son monde. Certains écrits affirment aussi qu’elle a été dissimulée jusqu’à ce que l’homme atteigne le degré de sagesse nécessaire et d’autres écrits signalent sa découverte comme le déclenchement de l’apocalypse. J’ai eu connaissance, dernièrement, qu’on l’aurait localisée à l’intérieur d’une montagne. »
« Qui sont à présent ces voyageurs ? »
Le mage répondit : « Certains écrits mentionnent des êtres de lumière qui auraient créé le monde. Un peu comme les dieux et demi-dieux de la mythologie. Cependant, vu le nombre de civilisations qui nous ont précédées, il est possible également que certains êtres humains aient atteint la pureté de l’esprit. Ce qui les aurait fait passer dans un plan supérieur et donc invisible à notre monde. D’autres sources, également, et qu’on ne peut pas écarter parlent de vies et d’intelligences extra-terrestres. Quoiqu’il en soit, ou bien nous demeurons incrédules et avons à faire de plus en plus d’effort pour refuser chaque nouvel argument, ou alors il faut accepter que tous ces êtres légendaires ou fabuleux sont bel et bien la représentation d’une intelligence parallèle à la nôtre. De plus des connexions de plus en plus nombreuses s’établissent venant de leur part. »
« Qu’en est-il de l’écoulement apparemment incohérent de notre temps ? »
L’astronome, alors, se leva. « Pour bien comprendre le cycle étrange du temps, je vais devoir utiliser des chemins parallèles. Comme nous le savons ou, du moins, le comprenons, la création du monde s’est accomplie par une formidable énergie. Dieu venait de créer le monde. Et cette création fut accompagnée d’évènements tout à fait paradoxaux. À titre d’exemple, avez-vous remarqué, bien que nous soyons au cœur de l’hiver et bien que nous traversions une tempête ce soir combien l’air est pourtant doux comme un soir d’été à l’intérieur ? Lorsque Dieu créa le monde, l’énergie primitive fut fantastique, épouvantable. La différence entre l’amour qui était insufflé et l’énergie d’expansion était, je dirais, semblable aux différents points d’un trou noir. Tellement dissemblable que nous pouvons dire, à présent, que cette énergie symbolisait le mal. Quel paradoxe ! Quelle folie divine ! Un amour de création tellement puissant que sa crête, ses extrémités en étaient le mal ! L’énergie d’amour créait sans cesse des paradoxes semblables. À chaque entité de matière créée, une antimatière apparaissait pour l’annihiler. À chaque nouvel atome sorti de la forge, des groupes tentaient de les emprisonner dans un état stable et inerte. À chaque molécule organisée, une organisation stable et inerte. À chaque cellule naissante, une organisation de vie dans le but de manger et d’être mangé. À chaque intelligence révélée, un désir belliqueux de compétition. En définitive, chaque nouveau pas vers l’évolution est précédé par le mal. Mais il faut voir le mal, non pas comme une malédiction, mais comme la trace sinon comme l’impulsion nécessaire de l’amour. Lorsque l’homme a commencé à peupler la terre, le mal ne pouvait diriger l’amour. Immatériel et dissemblable, il n’avait aucune prise. Alors, comme le mal était instigateur, il a concrétisé l’amour dans le cœur de l’homme par l’économie. Aujourd’hui, les richesses du monde circulent non pas dans tous les êtres, harmonieusement comme l’amour, mais comme un manque. Au contraire de l’amour qui se donne, la richesse se retient. Au contraire de l’amour qui ne se stocke pas, l’argent s’accumule. Le mal pousse cette contradiction jusqu’à ce que le rideau se déchire. Le mal est actuellement en train de pousser les limites de l’homme jusqu’à se rendre compte de sa propre déchéance. En résumé, le mal est en train de botter le cul des hommes à coup d’argent de plus en plus fort jusqu’à ce que celui-ci soit annihilé.
Un autre élément de la création divine est le temps. Le temps est la main de Dieu qui guide, en parallèle, sa création. Et tout comme le mal éprouve le cœur de l’homme, tout comme le mal arrive au point limite de la résistance de l’être de lumière, ainsi de la même manière, la main de Dieu devient creuset d’épreuve. Elle se distend par endroit, se retourne sur elle-même, se déchire et se dissout. ».
Le maître sourit : « Voici le nouveau monde ! ».
Le sage
Le sage découvrit des lignes fuyantes, de plus en plus rapides. D’abord blanches puis, colorées, puis irradiantes. Le scintillement fantastique était, pour lui, le prologue merveilleux de sa nouvelle expérience de vie.
Lorsque ses sens s’éveillèrent, lentement, il ouvrit son nouveau regard.
Un univers s’ouvrait à lui. D’abord en tout point semblable à ses connaissances puis, il s’aperçut qu’il avait acquis une autre direction. Si au début l’univers lui ouvrait un horizon, si après l’espace s’étendait à la hauteur de ses perceptions, si après il discernait la profondeur du cosmos qui l’entourait, soudainement, comme une trouée, comme un déchirement, comme une aspiration créative, il participait désormais à la quatrième direction de cet univers dans lequel il se trouvait impliqué. À la fois point, à la fois droite, à la fois espace, à la fois transformé, cet espace où il venait de s’éveiller l’émerveillait.
Puis, comme une musique céleste, l’espace s’harmonisa.
Fontaine de Lumière.
Le changement fut soudain. Il ne flottait plus dans l’espace. Il n’errait plus dans l’obscurité. Il se présentait devant une cathédrale de lumière. Une cathédrale dont les tours se perdaient dans les nues hors de la portée de son regard. Une blancheur immaculée noyait toute autre couleur. Il pénétra dans la nef. Toujours la blancheur. Douze piliers imposants délimitaient le hall.
Au fur et à mesure qu’il marchait, il regardait ses mains et ses pieds, se touchait le visage. Son vieux corps ridé n’était plus, il avait une nouvelle enveloppe qui lui seyait comme un nouveau vêtement. Il était serein et une douce énergie le portait. Il flottait presque. Il allait en confiance.
Le sage sourit : « Voici le nouveau monde ! ».
Trois petits enfants riaient et jouaient ensemble. Trois petits êtres dynamiques. Trois petits êtres qui manifestaient leur joie. Le premier était blond comme un soleil. Le deuxième était brun comme une lune noire. Le troisième avait des cheveux roux tel un brasier ardent. Dès qu’ils aperçurent le sage, ils s’approchèrent de lui. Ils n’avaient ni crainte ni ressenti quant à sa présence. Ils semblaient même heureux de son arrivée parmi eux.
« Bonjour, homme nouveau, tu viens jouer avec nous ? » dit le petit être blond avec enthousiasme.
– Oui, bien sûr ! Répondit le sage. Je sais même chanter et danser !
– Bravo, bravo, bravo ! Approuvèrent chacun des enfants.
Ils se donnèrent la main et commencèrent à former une ronde rythmée par des chansons gaies et entraînantes. La danse fut exécutée magistralement et suivie avec attention. C’étaient de bons danseurs. Sa nouvelle enveloppe physique était emplie de bonheur. Quelle joie de bouger !
« Bravo, bravo, bravo ! » applaudirent les enfants. « Viens goûter avec nous maintenant ! »
Ils entrèrent dans une immense pièce où trônait une table accueillante chargée de plateaux de fruits très variés et de boissons colorés dans des tons très vifs. Une nature vivante. Ils s’approchèrent. Les enfants mangeaient goulûment. Le sage s’approcha à son tour et mordit dans un beau fruit rouge. Aucun goût aussi exquis ne semblait exister dans l’univers. Il en dégusta un autre pour faire une autre découverte aussi agréable. Chaque fruit aiguisait ses sens gustatifs. Chaque fruit paraissait parler à son être dans son langage de saveur.
Lorsqu’il fut rassasié, il remarqua alors une musique très douce qui semblait venir de toutes parts.
« Viens avec nous, tu dois te reposer maintenant car demain, tu devras partir pour suivre ta voie. »
Ils l’emmenèrent alors vers une chambre à la lumière chaude et tamisée. La musique qu’il avait entendue auparavant semblait encore plus douce, plus berçante. À peine allongé sur la couche, il s’endormit aussitôt.
Ses rêves furent agréables. D’abord, un ballet de lignes s’étirant vers l’infini qui se courbaient et se recourbaient. Puis, qui explosaient en une infinité de petits rayons lumineux. Puis des formes, des souvenirs se précisaient. Sa vie terrestre lui revenait. Il se revoyait enfant. Il revoyait sa mère, son père, l’univers de sa petite enfance. Son adolescence. Ses premières amours. Son premier amour. Sa vie d’homme et l’évolution de sa carrière. Il revivait tout son univers avec ravissement. Comme s’il était heureux d’avoir vécu, comme s’il devait remercier quelqu’un pour avoir connu tout cela.
Lorsqu’il se réveilla, il était parfaitement reposé. Il sortit de sa chambre et se dirigea vers la salle à manger où il retrouva ses trois petits amis.
« Bonjour! » dirent en chœur les trois enfants. « Viens déjeuner avec nous ! Il y a de la crème, c’est très bon ! ». C’était, en effet, aussi délicieux que la veille. Meilleur, même. Plus raffiné.
Il était en train de terminer son repas lorsqu’un personnage de très haute stature fit son entrée.
« Au revoir ! » sourirent ensemble les enfants. « Nous avons passé un très agréable moment en ta compagnie. Merci pour tes chants et tes danses ; nous les garderons toujours dans nos cœurs. »
Le sage les salua de la main et se tourna vers le nouvel arrivant qui lui sourit :
« Viens avec moi. Tu es prêt ! »
L’être surdimensionné ne parlait pas ; il guidait. Il emmena le sage dans sa voie. Il marquait le pas. Le sage à son côté suivait cet étrange compagnon. Lorsqu’ils arrivèrent au seuil de la maison, il lui montra le chemin. « Va maintenant, elles t‘attendent ». Le sage lui adressa son salut, comme un adieu et se retourna et quitta la citadelle.
Il marcha longtemps. Longtemps. Pourtant les pas qu’il mettait l’un derrière l’autre ne lui causait aucune fatigue, aucune souffrance. Comme si le nouveau corps impalpable qui lui avait été prêté était programmé pour l’accompagner.
À l’orée des forêts, quatre femmes l’attendaient.
Toutes étaient magnifiques. Comme si leur féminité surpassait leur être. C’étaient des femmes accomplies.
La première prit la main du sage et l’entraîna en lui souriant. Elle lui présenta une coupe. Il la but et, aussitôt, il sentit son corps devenir eau. Tout en lui prenant sa main, elle l’attira. Il la suivit. Le lac, devant eux, était majestueux. Le lac d’un Roi, pensait le sage. Elle se tourna vers lui. Son sourire illuminait sa vision. Le sage, alors, s’avança et, ensemble, ils pénétrèrent dans le lac. Le contact de l’eau. Froide. Les jambes ensuite. Le corps puis, la tête. À présent, ils étaient, tous les deux, submergés. Le sage découvrit alors que leurs corps devenaient transparents. Devenaient eau. Chaque pas, chaque découverte se fondait dans cet élément. Leur progression se concrétisait cependant. Bientôt ils atteignirent une grotte immergée. La sirène lui fit progresser des marches de pierre, comme l’invite d’un passage vers l’inconnu. Leurs yeux étaient devenus bleu foncé ; le bleu du plus profond des océans. Elle l’embrassa tendrement et s’en fut.
La deuxième femme lui prit la main. Sa main était chaude. Brûlante. Le sage était fasciné par son aura de feu. Ils sortirent de l’eau et, dans un flamboiement, les flammes de la terre firent un barrage. La pression dans sa main devint plus forte. Il suivit alors la fille du feu. Lorsqu’ils traversèrent la barrière du feu, leurs corps devinrent incandescents. Pourtant, sans se consumer, ils transcendaient l’essence même du feu. Leurs cœurs, alors, se mirent à battre, un sang rayonnant parcourait leurs corps. La frontière franchie, la troisième femme le prit en charge.
Elle était noire de cheveux. Noire des yeux. Noire comme le plus profond des abîmes de la terre. Autant profonde était-elle, autant elle resplendissait comme la mère universelle. Le sage était très ému de la rencontrer. Elle le guida alors au travers des entrailles des cavernes de la terre. Grottes et souterrains. Chemins enfouis et gouffres sans fond se succédaient. Tout au long du chemin, leurs corps se densifièrent. Ils traversèrent le labyrinthe oublié de la terre mère. Leurs corps prirent une teinte orangée ; leurs peaux s’étaient minéralisées. Lorsqu’ils émergèrent à la surface, vers le ciel, la quatrième femme était là.
Le vent sauvage surprit le sage. Elle le harnacha rapidement et, ensemble, s’envolèrent au-delà des abîmes. D’abord la pression du vent. Étourdissant. Une chute vertigineuse. Puis, dans un soubresaut, comme un ressac, la remontée. La quatrième femme était fille du vent. Tandis qu’ils remontaient, elle lui souriait comme pour faire passer un message d’amour. Tandis qu’ils remontaient, leur poumons se remplirent d’air, leur esprit fut agité par le souffle. Lorsqu’ils atteignirent la crête des montagnes, ils étaient vivants.
Le personnage de haute stature était là. Il l’attendait.
Tableau de Laureline Lechat
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