
Décembre exigeait l’épreuve ultime : allier mouvement, force et loi.
Et les trois compagnons, las mais solidaires, bâtirent un pont de lumière
Entre ce qui fut et ce qui vient, entre la chute et la foi.
Ils comprirent enfin que l’union est la plus juste des frontières.
Il restait encore une épreuve qui pouvait tout bouleverser.
Dont ils en ressortiraient vainqueurs ou éparpillés dans la poussière.
Car si l’équilibre est crucial et l’énergie indispensable
La cohésion n’aboutira que lorsque l’amour unira.
Le voyageur
Le voyageur était profondément endormi lorsque des cris de joie le firent sursauter.
« Debout ! Debout ! La terre est en vue ! » Crièrent les enfants en dégringolant les escaliers. Le voyageur se leva d’un bond. « La terre ! » Il monta sur le pont où des manifestations d’allégresse se déroulaient. Il trouva le capitaine à la barre. « Nous sommes arrivés ! » Annonça celui-ci. « Nous avons eu les vents très favorables. Je ne m’attendais plus à arriver si vite. Après tout ce temps passé à attendre, il me semble que, maintenant, cela va trop vite ! »
« C’est parce que nous arrivons. Le temps accélère lorsque nous arrivons au bout de notre quête. » Précisa le voyageur. « Reste à savoir, maintenant combien de temps nous sommes restés absents de la surface de la Terre.
Les côtes se dessinaient au fur et à mesure que le navire avançait. Bientôt les paysages se précisèrent et l’on put distinguer une ville qui semblait surgit des monts et s’enfoncer dans la mer. Longtemps après, le port se découvrit. Bizarrement, vu à distance, un grand calme régnait sur le débarcadère. Aucun bateau n’était en vue. L’espace portuaire semblait désert ; l’animation habituelle qui aurait dû se manifester paraissait comme endormie. Pourtant, pendant les manœuvres d’approche, une activité commença à s’installer. De nombreuses personnes s’agglutinaient sur le quai. Visiblement, leur arrivée les mettait en liesse.
« C’est étrange que nous soyons les seuls ! » Déclara le capitaine. « Vu le retard que nous avons accumulé, beaucoup de navires auraient dû nous avoir précédés. Que leur est-il arrivé ? Une tempête ? Une catastrophe ? Je vais tout de suite aller m’en enquérir auprès de la capitainerie. »
Les amarres furent happées par des milliers de mains volontaires. On descendit les passerelles. Le capitaine et quelques marins débarquèrent. Le voyageur pendant ce temps rassembla rapidement ses affaires, mit de l’ordre dans la cambuse puis rejoignit les deux adolescents sur le pont. Ils étaient impatients de mettre le pied à terre.
« Où allons-nous maintenant ? » Demanda la jeune fille brune. « D’abord, nous allons rendre visite à un vieil ami. Nous y resterons quelques jours puis, nous aviserons de notre destinée. » Répondit le voyageur en regardant le port. « Il possède une maison dans les collines à la sortie de la ville. »
Le capitaine, escorté de ses marins, regagna enfin le bord. Tous paraissaient stupéfaits. « C’est incroyable ! » S’exclama-t-il. « Nous avons une avance de plusieurs semaines. Aucun des bateaux de ravitaillement n’est encore arrivé ce qui est encore plus extraordinaire car nous sommes partis bien après eux. J’ai, scrupuleusement, tenu mon carnet de bord quotidiennement ; je n’ai pas pu me tromper. Nous avons dérivé et vécu sur cette île pendant des mois ; nous devrions avoir accumulé un retard tel que mes armateurs pourraient me retirer le commandement. Et pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence : Nous avons une avance prodigieuse sur nos concurrents. Et tenez-vous bien, en conséquences de cette étrangeté, ma marchandise vaut quatre fois son prix. En quelque sorte, nous sommes riches et je n’y comprends rien ! Qu’en penses-tu, voyageur ? »
Le voyageur examina la situation : « Nous devons nous rendre à l’évidence que le temps que nous avons passés sur cette île échappe aux lois de notre monde terrestre. Si nous avons reculé de plusieurs semaines alors que nous avons vécu plusieurs mois dans l’île, cela signifie que le temps s’y écoule plus lentement et à contre sens. Il se pourrait bien que ceux qui ont créé ce monde ne le fassent que dans notre futur ; par forcément lointain. Tout cela mérite d’être approfondi. Pour l’instant je descends à terre avec les enfants. Nous allons passer quelque jours chez un vieil ami vous pourrez m’y retrouver. »
Le capitaine hocha la tête. « C’est entendu, voyageur. Nous allons livrer notre fret et toucher la prime. Ensuite nous la partagerons tous en tant qu’associés et je passerai t’apporter ta part. »
Le capitaine et le voyageur échangèrent une solide poignée de mains et après s’être fixé le rendez-vous, le voyageur et les adolescents débarquèrent à leur tour.
Sur le quai, beaucoup de personnes étaient rassemblées. On ne parlait plus que du miracle de l’arrivée du bateau. Le voyageur qui préférait conserver son anonymat entraîna rapidement les enfants loin de la foule. Les grandes rues principales partaient des collines et descendaient tout droit vers la mer. Ils remontèrent les avenues sans rencontrer de passants. Tout le monde s’était rué vers le port, les autres rues paraissaient désertes. Progressivement, la rade se dessinait derrière eux et, lorsqu’ils atteignirent les limites de la ville, la vue panoramique du golfe était magnifique.
La montée avait été exténuante. Ils s’arrêtèrent un moment près d’une fontaine. La rue était calme. L’agitation qui dominait le port ne s’était pas étendue dans les ruelles de la ville haute. Les cris s’étaient étouffés durant la progression comme s’ils s’étaient endormis. En revanche, l’air frais et vif du début de la journée les entraînait. Après leur halte, ils reprirent leur chemin vers les hauteurs.
La maison n’était pas visible directement de la route. Pour l’atteindre, il fallait la contourner et continuer à monter. Enfin, on descendait un chemin abrupt qui donnait sur l’entrée principale. Deux chiens accoururent mais sans aboyer. Ils tournèrent et tournoyèrent autour des trois visiteurs tout en humant leurs identités olfactives. Le voyageur les caressa l’un et l’autre. « Bonjour les amis ! » Leur dit le voyageur tout en jouant avec leur festivité.
Leur hôte apparut sur le seuil. Il héla ses invités : « Bonjour voyageur ! Ça faisait longtemps que nous t’attendions ! » Ils se rapprochèrent l’un de l’autre et se congratulèrent très fraternellement. Puis, il observa ses jeunes compagnons et lui dit en plaisantant : « Tu as des enfants, maintenant ? » Le voyageur répliqua : « Non, ce sont des amis que j’ai rencontrés durant mon voyage et qui m’accompagnent actuellement. » Leur hôte les invita à entrer en ajoutant : « Oui ! Je sais. Je les avais déjà reconnus de loin. »
Pour le voyageur, la maison n’avait pas changé. C’était toujours la même vieille demeure qui ressemblait à un bateau renversé tant les imposantes poutres qui formaient la charpente attiraient l’œil du visiteur pour le plonger dans la profondeur de la charpente. Deux grands lustres massifs illuminaient la salle et révélaient la majestueuse table de la salle à manger où le couvert était mis. Des effluves embaumés parvenaient de la cuisine. Leur hôte leur présenta des coupes. « Goûtez moi ça ! Directement produit par mes vignes et arrivé à maturité cette semaine. » Ils burent. Le vin nouveau était excellent, fruité et frais. « Félicitations ! Il est vraiment très réussi ! » Les adolescents toussèrent un peu aux premières gorgées mais n’hésitèrent pas à tendre leur calice lorsqu’on les resservit.
Ils étaient sortis sur la grande terrasse qui donnait l’impression de surplomber toute la ville. La mer semblait loin et proche en même temps. La sensation de relief du paysage aurait ravi tout peintre épris de perspectives. On voyait parfaitement leur bateau ancré au port ; des gens en déchargeaient des caisses dans une activité de ruche. Ça avait décidément l’air si près et déjà si loin à la fois. Une cloche les arracha à leurs observations.
« Ah ! Je crois que le repas est prêt. À table ! » Ils rentrèrent et furent accueillis par la maîtresse de maison qui venait de descendre du grand escalier qui dominait le hall d’entrée. Elle était très heureuse de retrouver le voyageur mais son regard se porta immédiatement vers les deux enfants. Elle ne parvenait pas à prononcer un mot et les dévisagea les yeux humectés de larmes.
« Je te reconnais ! » S’exclama la fille brune. « Je t’ai déjà vue dans mes rêves et dans mes souvenirs. Tu es ma mère ! »
« Et, également, celle de ton frère. » Surenchérit leur hôte. Puis, s’adressant au voyageur : « Le voyage s’est bien passé comme prévu ? »
« Pas tout à fait. » Répondit le voyageur. « Il y a eu beaucoup d’imprévus. Par exemple, tu aurais pu m’indiquer la marche à suivre pour le retour, cela nous aurait fait gagner du temps. »
« Peut-être, mais tu n’aurais pas fait tes propres expériences et, surtout, tu ne les aurais pas partagées avec nos enfants. Allons ! Racontez-moi, à présent, tous les détails de votre odyssée. Venez ! »
Ils le suivirent et s’installèrent autour de la monumentale table de la salle à manger. Le repas était très complet. Crudités et poissons pour l’entrée, cuissots de gibier garnis de petits légumes sautés, le tout accompagné des meilleurs vins. Pendant qu’ils mangeaient, le voyageur exposa à ses hôtes l’ensemble des péripéties de son voyage. Tantôt interrompu par l’un des deux adolescents qui tenait à ajouter un commentaire de son propre crû. En fin de repas, ils se levèrent et sortirent sur la terrasse. Le soleil avait réchauffé les pierres engourdies par le froid de l’hiver. La température ambiante en était agréable et ils s’assirent dans de grands fauteuils de jardin pour profiter de ce bref ensoleillement.
« Comment pouvez-vous être nos parents et être ici ? » Implora le garçon. « Pourquoi sommes-nous restés seuls là-bas ? Pourquoi ne sommes-nous pas demeurés ensemble ? »
« Parce que nous en avions convenus ainsi. » Répondit leur mère. « Votre père et moi avons beaucoup contribué à l’organisation de l’île. Elle nous a été léguée en héritage par nos ancêtres. Pour votre propre sécurité, nous vous avons confiés aux habitants de l’île afin que vous y fassiez votre apprentissage et vos expériences loin des limitations terrestres. Maintenant que vous êtes presque adultes, il était temps pour vous de venir nous rejoindre. »
« Mais alors, » coupa la jeune fille, « si nous n’avions pas décidé au dernier moment de partir avec lui, rien ne se serait passé ? »
« Non ! » Lui répondit son père. « Très souvent, dans la vie, il y a des décisions à prendre rapidement. Et plus elles sont importantes et cruciales, plus elles doivent être prises rapidement. Réfléchir très vitre entraîne notre inconscient à prendre les bonnes décisions. C’est-à-dire celles qui sont décidées par notre moi profond. L’homme est plus fort en prenant instantanément le bon chemin et moins fort s’il se met à réfléchir trop longtemps. Réfléchir rajoute des multicouches à celles déjà existantes et ne fait en rien avancer. On avance plus librement et plus sûrement quand on évite de spéculer trop longtemps. Vous pensez au présent, ne l’oubliez jamais. Ni au passé, encore moins au futur. Et la fenêtre du présent est très, très étroite. Plus vous déterminerez vos choix rapidement et plus vous vous rapprocherez de l’instant présent et plus vous serez vous-mêmes. Votre choix rapide et instinctif a été l’un des plus cruciaux de votre vie. Mais pouvait-il en être autrement ? »
Curieusement, ni les parents ni les enfants n’étaient émus aux larmes. La situation de la rencontre était un moment tellement fort que tous les sens de chacun étaient aiguisés. La révélation avait comme assommé les uns et soulagé les autres. En revanche, la joie se lisait sur leurs visages. La réunion de famille commençait sous de bons augures.
Une situation équivoque, irréelle et hors du temps. Comment des enfants pouvaient-ils grandir dans un univers d’où leurs parents étaient partis ? Le voyageur connaissait les enfants pour avoir partagé maintes expériences et convivialités. Leurs parents étaient ses amis depuis longue date. Cependant, jamais cette situation n’avait été abordée. Pourtant, le voyageur n’en portait nul ombrage. Il reconnaissait qu’il avait été choisi pour réussir une mission pour laquelle il avait été étranger depuis le début. À quoi bon s’en offusquer ? Ses amis avaient placé la barre très haut et lui avaient accordé leur confiance. C’était pour lui un honneur et une responsabilité qu’il avait délibérément adoptée. Il n’y avait ni besoin de justification ni besoin de réclamer un dû.
« Quel est le programme, maintenant ? » Demandèrent les enfants intéressés par leur nouveau changement de situation.
« Nous restons quelques jours dans cette maison et, ensuite, nous partons. Nous avons un rendez-vous important tous ensemble. D’ici là, nous avons tout notre temps pour nous raconter nos souvenirs les uns aux autres. À vous l’honneur, mes enfants. »
L’après-midi fut consacrée au récit des enfants. Ils décrivirent la grande maison dans laquelle ils étaient tous rassemblés et le rythme de vie qui s’y déroulait. Les éducateurs qui leur apportaient un suivi personnalisé. Ils étaient, chacun, écoutés et toutes leurs demandes étaient honorées dans la mesure du possible ; mais l’impossible était loin. Ils étaient libres de poursuivre toutes leurs expériences. Chaque enfant devenait tuteur des plus petits et assumait volontairement sa responsabilité. Il était parfaitement clair que le fait de demeurer ensemble et soustraits du monde des adultes leur permettait de développer toutes leurs facultés sans barrière morale, protectrice ou craintive. La société des adultes leur offrait la possibilité d’être leurs propres instructeurs et c’est ainsi qu’ils s’entraînaient les uns et les autres. Leurs éducateurs leur prodiguaient des conseils et des directives, leur inculquaient les notions élémentaires de grammaire et de calcul. Pour le reste, on leur apprenait le rudiment des disciplines ancestrales telles que la lévitation, la télépathie ou la télékinésie. Ils se forgeaient leurs premières forces de cette manière en découvrant des techniques plus adaptées à eux-mêmes. Ensuite, ils développaient d’autres arts personnalisés. Finalement, chaque enfant se découvrait un don ou une attirance pour de nouvelles activités inconnues. Entouré et écouté par les autres, il affinait jour après jour son habileté. La fille brune avait ainsi découvert sa souplesse d’esprit pour lire les songes. Aussi bien ceux qu’elle produisait que ceux des autres enfants. Le garçon blond, quant à lui, s’était perfectionné dans plusieurs disciplines mais sans en privilégier une en particulier, même nouvelle. Il lui semblait qu’une intégration maîtrisée de plusieurs arts différents lui procurerait plusieurs cordes à son arc et qu’ainsi était son aspiration.
Le soir venu, ils étaient toujours en train de raconter les anecdotes qui s’étaient déroulées dans leur existence dans la grande maison. Certaines étaient amusantes et instructives, d’autres étaient tragiques et avaient provoqué la mort d’un des enfants. Des accidents difficiles à admettre mais, malheureusement, on n’arrive à rien sans prendre de risques. Les accidents sont un avertissement très violent qui conduit à la prudence pour le reste des enfants. Ceux qui ont péris sont pleurés et vénérés pour le don de leur vie à prévenir le reste de la communauté. Fort heureusement, ces tragédies sont exceptionnelles mais elles peuvent survenir d’un moment à l’autre si la vigilance est relâchée. C’est pourquoi les enfants sont très garants les uns pour les autres. Leur convention aurait pu être : « Protection, Assistance, Dépassement de soi ».
Lorsque le voyageur était arrivé dans l’île, aucun enfant n’avait cherché à en savoir plus et ils avaient poursuivi, indifféremment, leurs activités. Puis, il était venu personnellement leur rendre visite. Il avait conversé avec eux et, très rapidement, les deux enfants avaient compris qu’il était différent des autres adultes. Ils s’étaient mis à aimer et respecter ce grand étranger qui refusait son sort et continuait sa route quoi qu’il en soit. Il leur avait demandé conseil et les enfants s’étaient proposés pour le guider. Malgré l’échec de la première expédition, le voyageur n’était nullement découragé. Il prenait cet échec comme une clé pour poursuivre sa quête et avait finalement trouvé la serrure qu’il cherchait avec leur aide. Au moment du départ, ils avaient préféré rester chez eux avec leurs camarades mais, finalement, quelque chose de plus fort qu’eux les avait poussés ou les avait tirés à accompagner le voyageur. « C’était comme une flamme dans mon cœur ! » Dit la jeune fille. « Pour moi, c’était une attraction irrésistible ! Nous avons pensé que c’était purement sentimental et que cela disparaîtrait lorsque le voyageur serait parti. Pourtant, lorsque le bateau a appareillé, sans nous consulter, nous avons attrapé quelques affaires et sommes partis en courant vers le port en criant afin qu’on nous attende. »
« Je vous attendais. » Avoua le voyageur.
Le conquérant
Le conquérant avait passé la nuit à retrouver sa promise. Tandis qu’elle dormait à présent, il s’était habillé et avait descendu les grands escaliers. Il se retrouva dehors. L’air glacial lui gifla les joues mais il avait besoin de la fraîcheur de la nuit. Il s’en revêtait comme un manteau précieux. Il sentait son corps frissonner et la chaleur l’irradier. Le ciel était pur et les étoiles s’en étaient décrochées tellement leur scintillement crevait la nuit. Il se détendit.
Lorsqu’il rentra à l’intérieur, la princesse était encore endormie. Le conquérant l’observa tandis que les premières lueurs de l’aube lui caressaient les joues. Son ventre s’était beaucoup arrondi ces derniers jours. L’accouchement était proche mais toutes ses occupations l’avaient détourné de sa propre destinée. Il n’avait jamais eu d’enfant jusqu’à présent. Ses activités lui avaient fait sillonner la planète sans lui laisser le répit de songer à fonder une famille. Puis, tout s’était passé si vite ! La mission, la rencontre avec ce peuple étrange. Sa liaison avec la fille de leur chef. Les expériences stupéfiantes qui avaient changé et bouleversé leurs vies. La gestion de cet univers fantastique qu’on leur avait confiée. Beaucoup de temps avait passé depuis le début de leur saga. Presque un an déjà !
Un gémissement de douleur réveilla la princesse. Elle aperçut son amant en ouvrant les yeux et lui murmura : « Je crois que c’est pour bientôt ! » Il lui effleura amoureusement le ventre ; celui-ci frémissait de petits coups. « Je crois que celui qui est à l’intérieur est pressé de sortir, en effet ! » Remarqua le conquérant. « Veux-tu que nous rappelions ton père et qu’il t’emmène ? »
La princesse ouvrit grand ses yeux, frappée de surprise. « Mon père ? Alors que vous êtes en train de créer une organisation remarquable sur votre île ! Je n’avais jamais songé à t’accompagner jusqu’à maintenant. D’abord, je devais rester ici pour activer les téléportations et te ramener à chaque expédition. Ensuite et surtout, les transferts étaient trop dangereux pour mon état. Mais maintenant que vous avez accompli le passage de manière douce, j’ai hâte de venir avec toi et mettre mon enfant au monde chez moi, là-bas ! »
« Chez toi ? » S’interrogeait le conquérant. « Chez moi. » Répliqua tranquillement la princesse. « Et je crois qu’il ne faudrait plus tarder, maintenant, le temps presse ! »
« Très bien ! » Répondit le conquérant, nous partons après le déjeuner comme il était initialement prévu ! »
À l’heure dite, lorsqu’ils eurent préparé leurs bagages sommaires réduits à deux sacs de voyage, le conquérant prépara la barge amphibie et étudia minutieusement la trajectoire qu’il allait programmer grâce à la table d’émeraude.
« J’ai prévenu mon père. » Lui annonça la princesse qui le rejoignait. « Il s’occupera de la table de cristal lorsque nous serons partis. Mais pourquoi faut-il que nous gagnions la pleine mer ? »
Le conquérant terminait ses derniers préparatifs. « Parce que la manière naturelle est l’eau. L’eau est notre source, elle est la vie, elle est un don divin. C’est par elle que nous transitons de notre naissance à notre mort. C’est par elle que nous voyagerons. Elle nous permettra de franchir la porte sans dommage en agissant comme un tampon passif. »
« Et comment trouverons-nous la porte ? » Interrogea la princesse.
« Grâce à ton collier, mon amour. Je l’ai fait magnétiser lors de mon dernier voyage. Il nous servira de boussole. Savais-tu que la pierre est originaire de là-bas ? »
« Oui, mon père me l’avait dit lorsqu’il me l’avait donnée. » Répondit-elle simplement.
Le transfert avait été minutieusement calculé. Avec une précision d’horloge, la barge fut transportée au raz des vagues sur une mer calme. Ils naviguèrent pendant quelques minutes jusqu’à ce que la surface des eaux se changeât en un ballet tempétueux de rouleaux de plus en plus importants. La barge était parfaitement stable, ce qui les empêcha de chavirer. Soudainement, une lame haute de plusieurs dizaines de mètres se dressa devant eux telle une montagne.
« Accroche-toi bien ! » Lança le conquérant juste avant que leur barque fût engloutie dans le manteau de mer.
Mais il n’y eut ni secousse ni contrariété. Le seul choc fut celui de se retrouver brutalement dans un monde calme juste après un début de cyclone. Paradoxalement, la mer était aussi paisible qu’elle avait été agitée quelques secondes plus tôt. La brise se leva et le conquérant hissa la voile. L’embarcation filait sur la surface de l’eau. Moins d’une heure après, ils apercevaient la côte. En bon marin reconnaissant ses positions, le conquérant dirigea la barge vers le port.
Cette fois-ci, les guerrières n’avaient absolument pas l’air farouche. Mais ce ne changea absolument rien pour le conquérant car leurs grâces et leurs attentions ne lui étaient pas destinées. Elles emmenèrent sa princesse avec un grand soin. Le conquérant était surpris ce qui fit beaucoup rire l’écologiste. « Pourquoi les hommes ont-ils tant de mal à comprendre les femmes ? » Lui demanda-t-elle en riant. « Parce qu’ils en sont fascinés, comment en pourrait-il être autrement ? » Lui répondit-il.
Ils marchèrent ensemble le long de la plage. Il observa à la dérobée sa compagne de route. Elle avait beaucoup changé ; ses traits s’étaient affinés ; elle était vraiment très belle. Elle croisa son regard. Eh bien ! Comment me trouvez-vous ? » Le conquérant, gêné, répliqua : « Merveilleusement épanouie. Seraient-ce les bienfaits de vos élixirs ? » Elle sourit. « Ça et tout le reste. La vie que nous menons ici régénère les corps mais attendez de voir notre ami le scientifique. »
Celui-ci apparut. Lui aussi avait changé. Les rares cheveux blancs qui formaient sa toison s’étaient épaissis et révélaient désormais quelques couleurs de jais. « Alors ? Comment s’est déroulé votre voyage ? » S’enquit-il immédiatement sans ambages. « Parfaitement ! Un peu impressionnant au début mais la transition est très bien synchronisée. C’est une réussite, vraiment ! » L’homme de science rayonnait. « Oui, j’en suis très satisfait. Et je suis également très heureux de vous annoncer que tout est prêt. Nous sommes tous parfaitement au point. Je vous l’expliquerai plus en détail lorsque nous en aurons le temps. Ah ! J’aperçois notre commandant qui vient se joindre à nous ! »
Celle-ci arriva rapidement. Au premier coup d’œil, le conquérant constata sur elle les mêmes effets bénéfiques que sus ses autres compagnons. « Avez-vous déjà des enfants ? » Lui demanda-t-elle. « Non ! » Répondit le conquérant. « C’est mon premier. » Le commandant pouffa : « Ce sont vos deux premiers ! Vous avez un garçon et une fille en parfaite santé. Venez ! »
Tout était minutieusement organisé. Pas de cri, pas d’activité superflue. Dans la chambre où se reposait la princesse nul n’aurait pu croire que cela avait été une salle d’accouchement quelques instants plus tôt. La princesse était sereine et rien dans son visage qui respirait la douceur ne laissait supposer qu’un enfantement avait eu lieu. Sur ses seins, deux petits êtres sortis de nulle part et avides de connaissance ouvrait grand leurs yeux sombres, sensibles à tout ce qui bougeait. Lorsque le conquérant entra dans la pièce, avant qu’il ait dit un mot, deux petits regards le scrutèrent comme s’il avait été de la plus haute importance. Et lorsqu’il s’approcha de sa bien-aimée en lui murmurant quelques mots d’amour à l’oreille, deux petits sourires furent esquissés. Aussitôt après, ils s’endormirent profondément.
Le conquérant resta un moment sans rien dire. Juste tenir fermement la main de la mère de ses enfants. Elle avait toujours son visage serein. La délivrance ne l’avait pas marquée. Sans doute dû à des pratiques appropriées et très efficaces. Deux enfants ! C’était surprenant lorsque qu’il n’en attendait qu’un seul. Il lui en parla avec surprise. Elle avait ressenti, quant à elle, depuis longtemps qu’il y avait deux échos en son sein, mais elle avait préféré garder l’information pour elle. Ils parlèrent longuement ensemble de leurs projets. Elle avait décidé qu’elle resterait sur l’île avec ses enfants jusqu’à ce qu’ils soient sevrés. En attendant ce moment, elle allait se consacrer au problème de l’éducation de tous les enfants. Pour l’instant, elle était épuisée par l’effort malgré l’absence de trace sur son visage paisible. Il l’embrassa et sortit.
Il retrouva ses deux amies qui l’attendaient dehors. Il faisait très doux, la sérénité de la nuit était accompagnée par le sac et le ressac des vagues qui rythmaient le temps couche après couche. Le commandant était quasi invisible. La noirceur de sa peau nue se confondait dans la texture nocturne en comparaison avec celle de l’écologiste dont la blancheur persistante était inégalée. Le soleil avait apporté quelques touches de couleurs sans, toutefois, en ôter son aspect laiteux et opalin.
« Elle se repose. » Annonça le conquérant. « Comment avez-vous prévu l’éducation des enfants, hormis l’emploi du temps consacré par les hommes à la pédagogie ? » Leur demanda-t-il.
Le commandant rétorqua qu’elle s’occupait des guerrières et non des mères. Bien que parfaitement informée et favorable aux maternités, elle ne pouvait, en plus de ses responsabilités, prendre en charge ce ministère supplémentaire.
L’écologiste répliqua à son tour que cela ne pouvait incomber à une seule personne et que c’était à la société, tout entière, à s’occuper de cette obligation et à solutionner ce problème.
« Vous semblez oublier », coupa le conquérant, « que vous laissez aux hommes le pouvoir législatif ainsi que l’instruction. Ce qui aurait pour conséquences que les hommes dirigeraient, seuls, l’éduction des enfants ! »
« Que proposez-vous, dans ce cas ? » Interrogèrent les deux femmes.
« En tant qu’organisateur, je tenais à souligner cette lacune dans votre société. Nous venons justement d’en soulever l’importance avec notre jeune maman. Je pense qu’elle va nous aider. N’oubliez pas qu’elle est issue d’une civilisation très ancienne et dont les connaissances nous ont impressionnés ! »
Les deux femmes ne répondirent pas. Tous repensaient aux techniques apprises depuis leur contact avec ce peuple étrange. Toutes leurs technologies étaient fantastiques et très évoluées.
« Si elle reste avec nous et organise l’instruction et la vie sociale des enfants, ce sera extraordinaire. Elle pourra leur apporter toutes les semences de sa civilisation. Elle pourra compter sur notre appui déterminé malgré notre inaptitude. »
« Ce sera avec une grande joie partagée ! » Proclama la princesse qui venait de sortir à la recherche de son époux. « J’ai beaucoup réfléchi à ce point important et j’ai des propositions à vous faire mais, vu l’heure tardive, je vous révèlerai mes suggestions demain.
Le conquérant la prit par la main et tous regagnèrent leurs foyers. Les deux nouveaux parents s’approchèrent du berceau où dormaient paisiblement les deux jumeaux. Pour eux aussi, la journée avait été éreintante. « Je leur ai donné leur première tétée il y a une heure environ. Ils m’ont réveillée par leurs gazouillis. Dès qu’ils ont eu le mamelon sur leur petite bouche, ils ont tété goulûment. Ils dorment profondément, à présent. Nous pouvons aller nous coucher. Maintenant, je sais comment ils m’appelleront lorsqu’ils auront faim. »
Le maître
Le maître s’était levé tôt le matin pour s’entretenir avec son instructeur. L’astronome l’avait accompagné. L’aube était imminente. C’était d’ailleurs étrange dans cette cité céleste isolée dans l’univers que les journées soient rythmées par le soleil. La station spatiale était orientée autour d’un astre semblable à l’étoile de leur système solaire. La masse imposante de la structure tournait sur elle-même mais n’ayant pas la dimension de la Terre, des technologies astucieuses avait réussi l’exploit de simuler le jour terrien. La rotation avait été étudiée de manière à simuler l’attraction terrestre. Mais, par sa taille, plusieurs révolutions se déroulaient durant la journée. Cependant, sans arrangement, le jour n’aurait duré que quelques minutes à peine. Alors, on avait immergé la station dans une bulle intermédiaire qui compensait le mouvement réel et induisait un mouvement apparent. La combinaison des deux mouvements déterminait une course virtuelle qui s’alignait sur celui de leur Terre natale. Ainsi, les journées duraient vingt-quatre heures, il y avait un matin et un soir, une journée et une nuit. C’était la première chose qu’avait remarquée l’astronome. Avec le maître, elle avait cherché à en savoir plus. Et pour en apprendre davantage, ils s’étaient fixés comme objectif de comprendre les univers bulle.
Ils s’étaient, pour cela, donné rendez-vous avec l’un des instructeurs ; notamment celui qui en maîtrisait le plus la conception.
« Il faut faire attention à ne pas en créer par accident et, surtout, à ne pas les engendrer inconsciemment. Pour plusieurs raisons. La première c’est qu’ils sont quasi indétectables. Il serait plus facile à un aveugle de chercher une aiguille noire dans une forêt qu’en dénicher un dans un espace de quelques mètres cubes. Je m’explique. À l’instar des trous noirs qui sont de nature invisibles mais détectables à cause de leur gravité démesurée, essayez de déceler dans un espace quelque chose qui est un non-espace. Vous l’avez deviné, ce n’est pas en explorant l’espace au millimètre cube près qu’on pourra les déceler. Rappelez-vous la manière dont ils sont créés. Un peu comme lorsque vous faites claquer la lanière d’un fouet. Lorsque vous repliez l’espace, les trames se déploient à des vitesses supérieures à celle de la lumière sans quoi les grands déplacements interstellaires seraient impossibles. Et c’est la rupture de la continuité de la vitesse qui provoque une boucle et boucle l’espace. Au point d’intersection de la boucle, il se développe une fermeture ou une porte si vous voulez. Cette porte est close et il est très difficile de la franchir. Surtout dans les deux sens. Cependant, il existe une différence de pression par rapport à l’intérieur et à l’extérieur de la bulle. Cela ne provoque pas de champ gravitationnel mais une accumulation d’énergie improbable. Ce qui fait qu’en certains lieux, bien que vous en ayez exploré tous les interstices, vous pouvez détecter des différences d’énergie subtiles. Ces pics d’énergie correspondent à la présence de bulles univers et représentent les portes qui y donnent accès. Quant à les traverser, c’est une autre affaire. Vous comprenez maintenant l’importance de ces bulles et vous en avez la responsabilité à plusieurs niveaux. Ce qui représente la deuxième raison pour laquelle il faut redoubler d’attentions. Vous avez plusieurs niveaux à acquérir Le premier niveau est celui de les créer ; vous en avez désormais la possibilité. Le deuxième niveau est celui de pénétrer à l’intérieur et d’en ressortir ; ce qui fait en réalité deux étapes très différentes l’une de l’autre. Le troisième niveau est celui de détecter la présence de ces non-espaces dans l’espace ; vous concevez parfaitement que vous pourriez – en théorie du moins – en faire cohabiter une infinité dans la pointe d’une aiguille. Enfin, le quatrième niveau est celui de les refermer ; la boucle peut être ouverte et la bulle redevient alors espace. »
Le maître et l’astronome avaient, patiemment et avec grand intérêt, écouté très attentivement leur professeur. « Précisément, » dit le maître, « nous voudrions engendrer une bulle sur la Terre elle-même. Cette bulle nous permettra en premier lieu d’expérimenter et découvrir cette particularité cosmique et justement de gravir tous les niveaux que vous nous avez décrits. Mais pour cela, nous avons, bien entendu, besoin de votre aide. Pouvez-vous nous assister ? »
« C’est entendu et de plus, vous avez raison, il est non seulement très intéressant d’étudier ces phénomènes, mais il est important d’en maîtriser le concept. Quand comptez-vous vous mettre à l’ouvrage ? » Leur demanda l’instructeur.
Le maître et l’astronome se regardèrent d’un œil complice : « Mais, tout de suite. Afin de commencer notre mission ! »
L’instructeur les dévisagea rapidement sans être surpris. « C’est entendu ! Rejoignez vos compagnons et retrouvez-nous dans deux heures dans le grand amphithéâtre. »
Ils se séparèrent. Les deux amis orientèrent leurs pas vers les premières terrasses qui avaient allumé leurs lampes. Un excellent petit déjeuner semblait de bon aloi aux deux intimes.
Ils furent bientôt rejoints par le reste de l’équipe qui, s’étant réveillé, était parti à leur recherche. Tout en prenant leur repas, le maître leur exposa son projet. Chacun des dix arrivants approuvèrent de manière enthousiaste. Et, lorsque le guerrier souhaita connaître le moment de la mise en exécution de l’entreprise, le maître répondit simplement : « Tout de suite ! »
Lorsqu’ils arrivèrent dans l’amphithéâtre, les trois instructeurs étaient déjà présents accompagnés d’un quatrième personnage. Dès qu’ils furent en présence, il se présenta. Il semblait aussi vieux que l’univers. Cependant, malgré les rides profondes, il irradiait de son être une grande droiture. Il semblait représenter à lui tout seul l’héritage complet de toute la science de l’univers. Il était d’apparence humaine mais sa vieillesse lui donnait l’aspect d’un être surnaturel.
« Bonjour à tous ! Je suis le mentor. Mon rôle est d’assister ceux qui transitent entre les mondes. Mes confrères m’ont appris votre désir et m’ont proposé de vous aider. Mon aptitude et mon savoir sont à votre disposition. Vous souhaitez créer une bulle univers à proximité de la Terre. Par quel moyen comptez-vous vous rendre d’un monde à l’autre ? »
Le maître répondit : « Je pensais que la technique et l’emprise du chant permettait le transfert d’un monde à l’autre ! »
« Attention ! Je me suis mal exprimé. » Corrigea le mentor. « Le chant vous transporte d’un monde à l’autre, c’est entendu. En ce qui concerne les bulles, il en va tout autrement. N’oubliez pas que la bulle est un monde clos. Difficile d’y entrer ; pratiquement impossible d’en sortir. C’est pour cela qu’il faut permettre une ouverture. Voyons ! Votre planète est en grande partie composée de mers et d’océans. Nous pourrions concevoir une bulle dans l’océan. Ce serait préférable à l’espace car les conditions pour effectuer les transferts pourraient être interceptées et ce n’est pas votre choix. L’océan, au contraire, est vaste et s’étend sur une surface sphérique qui nous offre beaucoup d’avantages. Il s’y déroule fréquemment des intempéries qui permettront de masquer très efficacement vos passages. Avez-vous déjà essayé de replier la mer ? »
« Nous ne sommes pas aussi expérimentés que toi. » Avoua le maître. « Mais nous sommes très enchantés de partager ta science. Comment replie-t-on la mer ? »
Le mentor sourit. « Venez, nous allons faire nos essais et nos apprentissages sur un terrain adapté. »
Puis, soudainement, il lança une note suraiguë que tous reprirent et soutinrent. La note était pure, sans variation, sans tremblement. C’était la force que chacun y donnait qui donnait la signification de ce chant simple et dénué. Ils furent tous instantanément transportés au-dessus d’un océan sans fin.
« Simple passage ! » Souligna le mentor. « Voici notre terrain d’expérience. Nous allons travailler une discipline assez particulière. Ce n’est plus l’espace qui sera notre support mais l’eau. C’est beaucoup plus limité en possibilités mais assez intéressant. Ce n’est pas la densité de l’eau qui va changer quelque chose puisque les voyages intersidéraux replient l’espace, la matière et le temps. Non, ce qui change dans cette matière, c’est la propriété intrinsèque de l’eau. »
« Et quelle est cette propriété intrinsèque de l’eau ? » Lui demanda le maître.
« L’eau, c’est Dieu ! » répondit simplement le mentor. « L’eau est le canal naturel par lequel circule l’esprit de Dieu. C’est le berceau de la vie, c’est la mémoire de l’humanité. Venez ! Groupez-vous de part et d’autre de moi en ligne face à la mer ! »
Ils se déployèrent et prirent leurs positions. Aussitôt le mentor entonna son chant. Les douze compagnons enchaînèrent et modulèrent consciencieusement les notes. Comme auparavant, la matière, l’espace et le temps vibrèrent dans l’intensité de la mélodie mais avec une différence fondamentale : c’était vivant ! L’eau se repliait comme ils avaient déjà replié l’univers mais ils ressentaient tous que c’était de la matière animée de vie. Ils se concentrèrent et l’amour jaillit du chant. L’eau continuait à se déployer lorsque le mentor changea le rythme de la mélodie. L’eau se referma alors sur elle-même et les engloba. Mais avant que la bulle se clôturât, le mentor reprit l’intensité première du chant et la bulle se rouvrit.
« Voilà ! J’ai arrêté la transformation car sinon, nous aurions été aspirés dans la bulle et nous aurions eu beaucoup de peine à en sortir. »
« N’y a-t-il aucune possibilité d’en échapper ? » S’inquiéta l’astronome. « Ce n’est pas impossible mais très difficile. Vous ne devrez jamais y entrer tous à la fois car vous ne pourrez effectuer des transferts que de l’extérieur, ne l’oubliez jamais sinon ce sera l’univers entier qui vous oubliera ! »
« Nous comprenons parfaitement ! » Le rassura le maître. « Maintenant, nous pouvons rentrer chez nous et nous mettre à l’œuvre. Nous avons l’intention de créer une bulle dans les océans de notre Terre. »
« Très bien ! » Acquiesça le mentor. « Ne négligez pas vos enseignements et mes recommandations ! Rejoignons pour l’instant vos instructeurs. »
Ce soir-là, ils étaient tous réunis autour d’une table. Les douze compagnons, les trois instructeurs et le mentor. Ils avaient fait le point de leurs apprentissages et leurs connaissances. « Pour quelle raison souhaitez-vous créer cette bulle univers dans votre monde originel ? » Demandèrent à nouveau les instructeurs. Le maître observa tous ses compagnons et, après un regard de connivence, répondit en leur nom : « N’oubliez pas que vous nous avez chargé d’un message pour nos semblables, nos frères et sœurs. Vous comprendrez aisément, que tous ne réagiront pas à la même vitesse. Certains seront prêts, certains auront besoin d’être formés, pour d’autres cela risque d’être plus long. Or, toutes nos connaissances ne doivent pas être toutes révélées en même temps et à tout le monde. Beaucoup de savoirs pourraient s’avérer dangereux s’ils étaient aux mains de personnes fanatiques ou maléfiques. C’est pourquoi nous avons besoin d’un lieu isolé dans lequel nous pourrons faire venir, par petits groupes, ceux que nous y inviterons. Dans ce lieu retranché nous pourrons mener à bien toutes les expériences que nous voudrons étant donné l’accès difficile voire impossible pour y pénétrer et, surtout, pour en sortir. Afin d’apporter la connaissance, ce camp dérobé est la meilleure solution ! »
Les quatre instructeurs se concertèrent à leur tour en convinrent ensemble du bien-fondé de la requête. « Vous avez raison ! Cela vous permettra d’être à la fois tout près et suffisamment éloignés en même temps. D’autant plus qu’il vaut mieux commencer par de petits groupes. Et, plutôt que les emmener ici, nous pourrons éventuellement intervenir sur place. C’est un choix très judicieux et pertinent. Bien ! Il ne nous reste plus qu’à nous mettre à l’ouvrage ou, de préférence, à vous mettre au pied du mur car cela va être pour vous tous l’occasion de pratiquer votre art ! »
« Alors, commençons tout de suite ! » Trancha le maître. « Mais nous devons, avant tout nous rendre sur Terre. »
« Rien de plus facile ! » Répondirent les instructeurs. « Il suffit de mettre en application vos connaissances et projeter la trajectoire à suivre. »
C’est ce qu’ils firent. Ils entonnèrent le chant du retour et purent expérimenter en toute conscience ce qu’ils avaient subi inconsciemment pour leur voyage d’arrivée. La grande maison du maître demeurait semblable depuis leur départ. Et c’est un peu surpris et désorientés qu’ils retrouvaient le lieu d’où ils étaient partis. Mais ils n’allaient pas y rester longtemps. Leurs apparences physiques avaient considérablement changé et leur travail exigeait désormais qu’ils soient dans d’autres lieux.
Le maître s’adressa aux instructeurs. « Où nous conseillez-vous de commencer ? »
Ils répondirent immédiatement : « Nous avons un site très éloigné de la surface de la Terre. En fait il s’agit des derniers vestiges de ce que vous appelez ‘Atlantide’. Les atlantes nous ont rejoint il y a de cela très, très longtemps. En revanche, toutes les cités ne sont pas complètement englouties. L’une d’elle, en l’occurrence, est située incroyablement en dessous de la surface à plusieurs centaines de kilomètres. Bien entendu, nous avons préservé le site afin qu’il ne soit pas endommagé par les nappes volcaniques très proches. Mais l’accès est resté inviolé par votre civilisation. »
Le transfert fut chose aisée. Après tout, il ne s’agissait que d’un déplacement infime. Toutefois, il fallait prendre en compte la géomorphologie de la Terre car les déplacements différaient de ceux dans l’espace. « À chaque degré de déplacement il y a une méthode appropriée. » Expliqua le mentor. « Pour les navigations intra planétaires il existe des lois différentes de celles qui concernent l’immensément grand. Sachez également qu’il est possible de voyager dans l’infiniment petit mais que, paradoxalement, les lois y sont beaucoup plus complexes et déroutantes. Car plus on voyage petit, et plus on comprime le temps qui n’est non seulement pas compressible mais qui fait partie de notre essence. Je peux même vous assurer qu’on se rapproche davantage du Créateur en voyageant dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand. Mais ces voyages feront l’objet d’une initiation plus particulière si besoin est. En ce qui concerne les déplacements à moyenne échelle, c’est-à-dire humaine, on replie l’espace, le temps et la matière en tenant compte de tous les paramètres de la Terre, des planètes du système solaire ainsi que du soleil. Les galaxies font également partie des moyens utilisés avec plus de recul, évidemment. Mais vous allez vous en rendre compte par vous-mêmes ! »
Effectivement, lorsque les premières notes du chant se déployèrent, leurs corps flottèrent et subissaient une sorte d’attirance magnétique. « Vous sentez les corps céleste proches ? » Avertirent les instructeurs. En effet, chaque masse importante était ressentie comme une liaison. « Ici, les transferts ressemblent plus à des déplacements de balancements de cordes en cordes. En revanche, cela nécessite beaucoup moins d’énergie. Votre lune serait également un moteur fantastique si votre science savait l’utiliser car on peut s’en servir comme d’un balancier. »
Ils arrivèrent ainsi, assez rapidement, vers le monde enfoui.
Le sage
Le sage avait retrouvé ses origines. Tout ce qu’il avait traversé dernièrement s’était effacé comme un dessin sur le sable. Il avait changé. Il avait compris le sens de sa vie et de sa mort. Il se souvenait d’avoir vécu comme il se souvenait d’être mort. La mort physique n’avait été qu’un passage.
« Alors, as-tu suffisamment exploré la mort ? » Lui lança le passeur tout en le toisant de sa haute taille.
« La mort ? » Lui répondit le sage. « D’après ce que j’ai vu et observé, la mort n’est rien d’autre que l’abandon et la résiliation de soi. On se laisse mourir, on accepte de mourir pour mieux revivre. À croire que le créateur a semé la mort au cœur de la vie ainsi que la vie au cœur de la mort de sorte que chaque état engendre l’autre comme la nuit succède au jour et le jour à la nuit. »
« Et es-tu satisfait de ce que tu as découvert ? » sonda le passeur.
« En un sens oui car j’ai commencé mon premier voyage à l’état conscient par la mort. Je suppose qu’auparavant j’ai expérimenté le passage de la mort à la vie juste avant ma naissance mais à l’état inconscient cette fois-ci. Mais je sais pourquoi à présent. L’enveloppe humaine est limitée à une seule vie, à une seule expérience. Le tissu humain n’est pas capable de supporter plusieurs consciences en même temps. Ses chromosomes et ses neurones ne sont pas conçus pour cela. Et si cela doit se produire, la folie en est le résultat. C’est pourquoi, pour pouvoir absorber mes multiples existences antérieures, j’ai acquis un nouveau corps plus évolué et plus fort. Mais vous êtes également présents à chaque étape vous, les formidables êtres de lumière ! Je pensais que rencontrer Dieu était impossible du fait de la limite de l’être humain ainsi qu’à chaque étape d’évolution. Pourtant, puisque je peux vous voir et vous parler est-il possible d’entrevoir une image du créateur ? »
« C’est possible. Continue ce chemin qui monte. Tu trouveras la réponse à ta question un peu plus haut. » Paracheva-t-il sans autre explication.
Le sage ne répliqua pas et ne posa pas d’autre question. L’heure n’était plus aux questions. Il acceptait tout ce qui lui était arrivé. Il ne cherchait plus à comprendre ni à croire quoi que ce soit, il était devenu comme un voyageur qui découvre de nouveaux paysages sans se demander pourquoi ils sont là. Ils y sont et c’est le principal. Accepter ce qui arrive était la chose la plus importante dans le cœur du sage. Il cheminait tranquillement sur un petit chemin qui montait en pente douce. Le trajet n’était pas très important car il apercevait une construction à quelques centaines de mètres environ. Le passeur l’accompagnait sans dire un mot mais cela ne dérangeait pas le sage. Tout en marchant, ses pensées remontaient ses souvenirs dans son réseau d’âmes. Sans chercher à réfléchir, il se remémorait la traversée qu’il avait effectuée depuis sa propre mort. Paradoxalement, il ne s’était jamais senti aussi vivant depuis qu’il avait entrepris ce premier pas.
« Approche ! » Lui tonna une voix familière. Là, drapé de blanc, un personnage de la même taille que lui le toisait. « Approche puisque tu désires connaître ton créateur ! »
Le sage se rapprocha. Il n’était pas intimidé bien qu’il aurait peut-être dû l’être, pensait-il. Son interlocuteur mystérieux semblait le défier comme s’il prétendait l’éprouver. Mais le sage était mort une fois et se sentait vivant. Il toucha le pan de la cagoule qui masquait la face de celui qui l’apostrophait. D’un geste, le sage lui releva la capuche et découvrit enfin les traits de son interlocuteur : Ses propres traits.
« Surpris ? Pourtant chaque fois que tu t’adresses à moi, je suis à ton image comme tu es à la mienne. Chaque pas que tu fais vers moi, j’en fais de même. Je me rapproche lorsque tu te rapproches ; je m’éloigne lorsque tu t’éloignes. Ainsi où que te dirigent tes pas, nous sommes unis et en harmonie. »
« Qui es-tu en réalité ? » demanda le sage.
« Qui suis-je ? Mais je suis toi et bien davantage ; je suis ton avenir et bien davantage ; je suis ton passé et bien davantage. Je suis celui qui unit ton passé à ton avenir et celui qui unit ton futur à ton passé par la création. Ainsi tu te crées toi-même ; ainsi tu es ton propre créateur ; ainsi tu es moi et je suis toi. Il en est ainsi pour toutes les myriades de créations de l’univers. Il existe deux points où toute la création est unique et où l’on m’appelle Dieu. Mais ces points n’existent pas. Ils existent pour Dieu seul mais n’existent pas pour la création. L’origine de l’un des points est un point de néant. À l’opposé, il existe un autre point où la création est en pure expansion et j’y figure aussi. »
« Alors, l’aboutissement de tout cela était de te rencontrer ? » Postula le sage.
« Aboutissement ? Je te répondrai : Naissance. Tu as connu la mort ; tu as découvert que tu vivais toujours ; tu as réalisé ta métamorphose ; tu as atteint mon image. Aujourd’hui nous fusionnons. Nous sommes le créateur ; tu es moi et je suis toi. »
Le sage et le créateur fusionnèrent ensemble. Ils firent un. Un éclair déchira le cosmos. Ils se firent néant.
Curieusement, quand on retourne au néant, c’est pour se réveiller aussitôt dans un autre plan.
« La mort n’existe-t-elle pas ? » Demanda le sage.
« Le terme existence ne s’applique qu’à ce que j’ai créé. » Lui répondit le créateur. Ce que j’ai créé ne peut être défait car j’y ai déposé ma trace, ma présence. Le néant ne désigne qu’une absence de création. À partir du moment où du temps, de l’espace et de la vie ont été développés, le néant ne peut plus se manifester parce que la création est marquée. »
« Comment cela, marquée ? » Questionna le sage.
« Je crée à mon image. Ce qui signifie que je me développe comme l’arbre étend ses branches et ses feuilles. Tout ce que j’engendre est relié à moi parce que je ne peux reproduire que ce qui me ressemble. » Enseigna le créateur.
« Pourquoi ? Es-tu limité ? Ne peux-tu pas inventer autre chose ? » Suggéra le sage.
« Autre chose que ? Je suis Dieu ! Je ne suis pas limité, je représente l’immensité, l’infini et toutes les possibilités auxquelles jamais vous ne pourrez accéder, même en prenant le temps qu’il vous faut ! Je suis Dieu et tout ce que je procrée porte ma marque ! » Trancha le créateur.
« Alors, s’il n’y a rien d’autre que toi dans tout l’univers, qui est le mal ? Pourquoi les religions séparent-elles le bien du mal ? » Poursuivit le sage.
« Il y a deux points fondamentaux dans ta question : Le mal et la religion. En ce qui concerne le mal, J’ai créé la vie avec de l’espace, de la matière et du temps. Pour que le tout fonctionne, il faut générer des flux afin que l’espace s’accroisse, que la matière se densifie, que le temps s’écoule, que la vie évolue. Je dois y canaliser de l’énergie afin que le tout aille dans une même direction. En conséquence de quoi, la lumière génère fatalement de l’ombre, la matière des perturbations, le futur du passé, la vie de la mort. Si tu préfères, la vie cosmique produit une énergie résiduelle tout en évoluant. Cette énergie, c’est le mal. Le mal est non seulement nécessaire, mais sa production est naturelle. Mais comme tout déchet, il faut laisser le mal aller vers son destin. Et si certains s’attachent au mal, ils s’attachent également des boulets à leurs pieds. Ils freinent un peu l’ensemble mais ils sont voués à l’échec. Le mal n’est rien d’autre qu’une énergie usée qui finira non pas par être anéantie mais sombrera dans un trou noir et redeviendra à nouveau création. Ce qui signifie que ceux qui suivent le mal prennent, en réalité, un chemin très détourné qui les ramènera vers le bien ; mais au prix d’une métamorphose sans conscience. C’est-à-dire que leurs esprits seront refondus. Dis-toi bien que j’ai semé le bien comme le mal dans le cœur de l’homme comme le jardinier prépare la terre, l’eau et la graine.
Quant à la religion, c’est la soupape de sécurité de l’homme. Dans le cœur de l’homme, il y a l’amour et la haine, le bien et le mal. J’ai séparé l’unité de l’homme en deux êtres distincts : l’homme et la femme afin que l’amour s’écoule plus facilement mais, malgré cela, l’homme est instable. Il a besoin de racines. Il a besoin de se rassurer parce que l’évolution est un arrachement à chaque pas. C’est pour cela qu’il y a la religion, la foi. Certains s’en servent comme d’un bâton pour avancer puis, au cours de leur vie n’en ont plus besoin, d’autres s’y engluent, d’autres la renient. Mais au bout du compte, l’oiseau doit voler de ses propres ailes. La foi tient le rôle de tuteur et rien d’autre. Mais il ne faut pas tout rejeter. La foi est un excellent outil que j’ai semé dans le cœur de l’homme. C’est à lui de bien utilise son outil. Mais en aucun cas, la foi n’est un maître ! »
« Qu’allons-nous faire maintenant ? » Demanda le sage.
« Nous allons explorer, ensemble, le dernier monde qu’il te reste à découvrir car tu l’as déjà traversé mais à une époque où tu n’étais pas encore conscient : ton enfance. »
« Ensemble ? Tu vas donc rester avec moi ? » Souligna le sage.
« Rester ? Mais je ne t’ai jamais quitté ! Je représente la marque que j’ai ensemencée en toi à l’instant où je t’ai créé. Tu n’as jamais su me matérialiser. Grâce à ton processus d’évolution, tu as réussi à me concrétiser. Désormais, je suis toi aussi bien que je suis Dieu ton créateur. Viens ! Notre voyage va commencer. »
« Quelle est notre première destination ? » Demanda le sage.
« Renaissance, voyage et reconstruction. » Répondit le créateur. « Car l’éternel recommencement est Dieu. »
« Comment procède-t-on ? » Quémanda le sage car il était très curieux de ce nouveau retournement.
« Tu meurs comme tu nais, tu nais comme tu meurs. Tu passes d’un seuil à un autre. Et peu importe de quel côté du seuil tu te trouves car tu vis éternellement. Depuis que tu es mort, tu t’es reconstruit, rassemblé, réorganisé. Ta conscience s’est ouverte et tu t’es reconnu et tu m’as reconnu. Et tu sais que je suis toujours avec toi depuis que j’ai créé le monde. »
« Mais pourquoi faut-il naître, mourir, renaître à nouveau, mourir encore et ainsi de suite ? »
« Parce que, à chaque cycle, tu me ressembles de plus en plus. Ton acquis prend beaucoup de valeur à chaque tour. Tu voulais aider les humains ? Tu vas en avoir l’occasion car tu vas retourner chez eux pour les enseigner et les faire évoluer. »
« Mais pourquoi naissons-nous sans mémoire ? Pourquoi avons-nous tout oublié de nos vies antérieures ? » Implora le sage.
« Sans mémoire ? L’oubli apparent que tu crois n’est rien d’autre qu’une nouvelle réorganisation de tout ton réseau d’âmes. Depuis ta mort, tes yeux ont vu de nouvelles dimensions, tu as réalisé quelle était ta véritable structure. La naissance apporte une nouvelle combinaison – toujours la mieux appropriée – qui va conditionner ta nouvelle expérience d’humain mortel. Étant donné que la nouvelle combinaison est unique, elle n’a pas de mémoire puisqu’elle n’a jamais été réalisée auparavant. Il n’empêche pas moins que toute ta structure est toujours présente. Et même si elle a été modifiée, tous tes souvenirs existent quelque part en toi. À ta prochaine mort, tu confronteras à nouveau l’acquis par rapport à l’expérience ancienne. Tu grandiras encore plus extraordinairement à nouveau et ainsi de suite. Mais ne t’impatiente pas. L’éternité n’est rien d’autre qu’une ligne infinie de temps. Tu es à la fois présent dans cette infinité et petit à petit, tu vas te détacher du temps. Et ce cycle de vie et de mort, qui t’impressionne tant aujourd’hui, ne sera rien de plus qu’un changement de saison lorsque tu auras mûri davantage. Nous avons l’éternité pour cela. »
Alors, la fonte du sage et du créateur se fit plus forte et s’intensifia dans une incandescence. Tout le réseau qui formait le sage se métamorphosa dans une harmonie sereine et parfaite. Le sage sentait sa pensée s’éclaircir et augmenter sans cesse. Sa pensée s’étira à l’infini ce qui lui fit une drôle de sensation ; comme s’il se noyait dans le vide. Il avait tendance à résister car il pensait mourir pour de bon cette fois-ci. Puis il accepta subitement et s’endormit profondément.
Il n’y eut aucune activité pendant un très long moment. La vie s’était réduite à néant. Presque. Lentement, très lentement, il y eut des mouvements d’abord, à peine perceptibles puis, un peu plus contrôlés. Un peu de lumière diffusait dans ce nouvel univers. L’obscurité régnait la plupart du temps mais, de temps à autre, une faible clarté s’installait. Toutefois, il était impossible de distinguer quoi que ce soit. En revanche, il y avait beaucoup de courants d’énergie qui se transformaient. Au début, on n’en ressentait que de sourdes vibrations puis, au fur et à mesure, cette énergie s’était comme colorée. Elle avait acquis de nouvelles propriétés. Elles étaient nombreuses. Quelquefois très douces, quelquefois plus impétueuses mais pas dérangeantes pour autant. Il y avait aussi quelque chose d’indéfinissable qui semblait régler le temps de l’univers comme un métronome. À intervalles réguliers, un coup d’énergie était dispersé dans l’espace. Autre chose de sensible également : l’univers dans lequel il se trouvait n’était pas en expansion mais en régression. Le temps était-il reparti en arrière ? Impossible de le savoir mais, bientôt, ce qui devait arriver arriva : Le repli inexorable de l’espace l’atteignit. La vie devenait dès lors impraticable. Il fallait échapper à ce piège mortel ! Alors, il lutta de toutes ses forces contre ce qui l’entourait. Et les efforts qu’il fit furent excellents car il parvint à aboutir. Il troua cet univers ridiculement trop petit pour lui. La voile céleste se déchira. Il était heureux et il poussa son cri de victoire. Il avait gagné ! La lumière jaillissait comme pour l’applaudir. C’était un jour de triomphe.
Tableau de Laureline Lechat
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